Rémunération des dirigeants : une obscure transparence

Par Judith Beckhard Cardoso, Olivier Thébault et Najib Sail, avocats (cabinet Debevoise & Plimpton LLP).

Crise financière et "moralisation" des marchés financiers obligent, les rémunérations excessives des mandataires sociaux constituent une cible de choix. Répondant au souhait de l'Elysée, l'Afep (Association française des entreprises de France) et le Medef (Mouvement des entreprises de France) ont donc complété leur code de conduite de recommandations sur ce point.

Mettre un terme au contrat de travail en cas de désignation du salarié en qualité de mandataire social, encadrer le versement des indemnités de départ, renforcer l'encadrement des régimes de retraite supplémentaire ainsi que des attributions d'options de souscription ou d'achat d'actions ("stock options") ou d'actions gratuites et améliorer la transparence. Ces objectifs sont louables mais sont-ils applicables ? Exemples pris "au hasard" des recommandations : limiter toutes les indemnités de rupture ?

En août 2007, la loi "Tepa" semblait sonner le glas des parachutes dorés en interdisant tous "éléments de rémunération, indemnités et avantages dont le bénéfice n'est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire" et en soumettant les autres au régime des conventions réglementées et à des règles de publicité. Cette mesure s'étant avérée, en pratique, assez peu efficace (voir le départ de Patricia Russo d'Alcatel Lucent), l'Afep et le Medef recommandent en conséquence de limiter le montant de l'indemnité de départ à deux ans de rémunération (fixe et variable).

Ce plafond s'applique à "l'ensemble des indemnités", y compris l'indemnité de non-concurrence. Celle-ci a pourtant pour objectif de compenser une interdiction de travail imposée au salarié et conforme à l'intérêt légitime de l'entreprise. Quelles raisons conduiraient alors à son assimilation à une indemnité de départ ?
L'indemnité de préavis n'est pas explicitement visée par les recommandations. Que faut-il en déduire ? Si le préavis est travaillé, il s'agira d'un salaire et non d'une indemnité. Comment, dès lors, retenir dans le calcul des "indemnités de départ abusives" des sommes qui rémunèrent un travail effectif ? En revanche, lorsque la durée du préavis est manifestement exorbitante du droit commun ou que le préavis n'est pas exécuté par le dirigeant, la prise en compte ou non de l'indemnité de préavis dans le plafond défini par les recommandations pourrait être discutée.

Soumettre l'attribution ainsi que l'exercice ou l'acquisition d'options et d'actions gratuites à des conditions de performance "sérieuses et exigeantes" ? Outre les interrogations que suscite le contenu précis de ces conditions, se pose la question pratique de l'application dans le temps de ce principe. Les recommandations sont d'application immédiate. Les sociétés doivent-elles modifier les plans existants pour se conformer aux principes édictés par l'Afep et le Medef ? La complexité liée à la mise en place de tels plans et les difficultés juridiques et pratiques de leur modification plaident pour la négative.

En outre, lorsque le plan concerne plusieurs centaines, voire milliers, de salariés dans plusieurs pays, une telle complexité risque d'entraîner davantage de problèmes que de favoriser la transparence. Le jeu en vaut-il alors la chandelle ?

Acheter des actions ? Le bénéfice des actions gratuites attribuées aux mandataires sociaux serait conditionné à l'achat d'une quantité supplémentaire d'actions sur le marché. Qui sera tenu d'acheter ces actions ? La société, afin de limiter la dilution liée à l'attribution, ou le dirigeant, afin de matérialiser son engagement dans la société ? Cette disposition s'inscrivant dans le cadre d'une plus grande implication des dirigeants dans la vie de l'entreprise, il semble donc, devant le silence des recommandations, que ce soit aux dirigeants d'acquérir les titres. Toutefois, contraindre les dirigeants à s'endetter pour acquérir des actions et ne pas perdre un complément de rémunération peut sembler en dehors du domaine d'intervention des organisations patronales.

Sanctionner la non-application des recommandations ? Le gouvernement, soutenu par l'AMF, a invité les sociétés à adopter ces recommandations avant le 31 décembre 2008. Les rapports des présidents de conseil d'administration ou de surveillance devront donc indiquer si leurs sociétés ont intégré les recommandations Afep/Medef dans leur référentiel de gouvernement d'entreprise. En cas de non-application, un tel choix devra être justifié, selon le principe "appliquer ou s'expliquer" ("comply or explain").

A défaut, une loi pourrait être votée; ce qui pourrait constituer l'occasion de simplifier la réglementation applicable aux rémunérations des dirigeants. Expliquer la non-application d'une recommandation par le flou qui entoure les conditions de sa mise en ?uvre apparaît peu crédible. Les auteurs des recommandations n'auraient-ils pas confondu vitesse et précipitation ?

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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