Keynes se met au vert

Par Stéphane Voisin, responsable de la recherche ISR chez CA Cheuvreux.

L'approche keynésienne, actuellement utilisée par les gouvernements, souligne le rôle critique de ces derniers comme consommateurs en dernier ressort. Le fait que ces gouvernements n'hésitent pas, dans ce cadre, à allouer de lourdes dépenses sur des enjeux liés à l'environnement ne peut être considéré comme une énième tentative de "green washing" dans la mesure où une approche keynésienne verte fait sans doute encore plus sens que dans sa couleur originelle : elle réduit la dépendance énergétique, accélère la création d'emplois (les fameux "green jobs" d'Obama) et, parallèlement, aide les Etats à atteindre les objectifs de réduction d'émissions de CO2 que la plupart des Etats se sont engagés ou s'engageront à atteindre.

Dans ce sens, on peut parler d'une stratégie de double dividende, avec des bénéfices à court terme liés au soutien de l'activité et des bénéfices à long terme liés à une croissance plus durable d'un point de vue environnemental.

L'Europe en passe de perdre son leadership. Les différents plans de relance de l'Union européenne représentent 2% du PIB et plus. Ces plans restent en retrait par rapport à ceux du président élu Obama, qui prévoient des dépenses représentant plus de 5% du PIB.

Séparer le vert du gris. L'importance du nouveau plan américain doit cependant être mise en perspective de sa "verditude" : il semble en effet moins "chlorophile que le paquet européen, avec un accent important mis sur des activités non durables de construction et rénovation des infrastructures routières nationales délabrées, et l'indépendance énergétique étant en partie centrée sur l'exploitation complète de réserves nationales de carburant fossile (charbon et pétrole). Si la plupart des plans de relance dans le monde font appel à une approche verte significative, il est probable que seul un tiers du programme de dépenses se verdiront réellement au final avec un accent clair (dans la droite ligne du Grenelle français) sur le ferroviaire, le bâtiment et, notamment, l'efficacité énergétique des bâtiments, les énergies renouvelables et, fait plus nouveau, l'automobile avec la prise de conscience tardive qu'un "mix" de consommation énergétique plus diversifié et moins fossile fait autant de sens dans l'automobile que dans la production d'électricité.

Convergence qualitative avec le rapport Stern... mais pas encore quantitative... Les enjeux climatiques sont désormais si bien intégrés à la mayonnaise keynésienne qu'ils font monter d'un cran l'objectif, jugé utopique encore récemment, d'atteindre les recommandations du rapport d'un autre grand économiste britannique, Stern, préconisant des dépenses d'au moins 1% du PIB pour lutter efficacement contre le réchauffement global et ses conséquences. Un tel engagement paraît paradoxal dans un contexte de récession, mais nous est bien par ailleurs confirmé par l'accord arraché sur une mise en ?uvre du paquet-climat de l'Union européenne, dont l'impact macroéconomique devrait augmenter de 0,3% du PIB en 2012 à environ 0,6% en 2020. Les Etats-Unis semblent toutefois aujourd'hui les plus à même d'atteindre l'objectif de Stern sous réserve que Barack Obama mette en ?uvre un système strict de plafonnement et d'échange de droits d'émissions de CO2.

Durabilité des politiques keynésiennes. La mise en ?uvre de politiques keynésiennes de dépenses publiques apparaît enfin durable sur au moins deux points : la protection de l'emploi (alors que les mesures visant à favoriser les dépenses de consommation soutiennent la croissance en Asie et non pas l'emploi local). Et surtout, le planisme induit par l'approche keynésienne tend à résoudre la crise à la racine : car la crise actuelle est aussi le résultat d'une surproduction inutile (construction à outrance, superproduction de biens de consommation, etc.) et insoutenable que seule une certaine forme de planification peut contribuer à réguler, avant les issues plus radicales que constitue la récession, voire la dépression.

Déficits durables, une notion nouvelle ? La remise à l'ordre du jour, à travers Keynes, de l'usage du déficit budgétaire auquel une composante verte contribuerait de façon significative complique une des interrogations majeures du développement durable : la mise en ?uvre d'actifs durables légitimise-t-elle l'accroissement de la montagne de dette publique vis-à-vis des générations futures ?

Le rapport Stern nous donne indirectement la réponse, confortée par une approche actuarielle volontariste : toute dépense visant à atténuer les conséquences du réchauffement global contribue à réduire d'un facteur au moins égal à cinq la facture climatique pour les générations futures. Sir Stern serait-il le nouveau Keynes ?

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