Il est temps de nationaliser les banques insolvables

L'ancien conseiller économique de Bill Clinton, Nouriel Roubini, critique le plan de sauvetage de la finance américaine. Paradoxalement, la nationalisation lui semble la méthode la mieux adaptée au marché, pour éviter de surpayer les créances toxiques des banques.

Il y a un an, j'avais dit que les pertes bancaires atteindraient au moins 1.000 milliards de dollars, et peut-être même 2.000 milliards, alors qu'elles allaient s'étendre bien au-delà des seuls crédits hypothécaires de mauvaise qualité. Cette estimation avait alors été jugée grandement exagérée. Le FMI et Goldman Sachs prédisent pourtant aujourd'hui que les pertes dépasseront les 2.000 milliards de dollars.

Les banques américaines et les banques d'investissement supporteront plus de la moitié de cette perte, soit 1.800 milliards. Le solde viendra d'autres banques présentes sur le sol américain ou à l'étranger. Les fonds propres des banques ne dépassant pas, à l'automne, 1.400 milliards de dollars, il restera encore un trou de 400 milliards. Une fois qu'elles auront été recapitalisées, leur actif net sera donc proche de zéro. Ainsi, pour que les ratios prudentiels des banques reviennent à leur niveau d'avant la crise, ce qui est indispensable pour résoudre le "credit crunch" et réalimenter le crédit au secteur privé, il faudra encore injecter 1.500 milliards. Le système bancaire américain est donc encore insolvable, comme la majorité du système bancaire britannique et beaucoup de banques européennes.

Schématiquement, il y a quatre façon de nettoyer un système bancaire faisant face à une crise systémique. Sa recapitalisation, adossée à un rachat de ses actifs toxiques par une "bad bank" publique? ; sa recapitalisation encore, appuyée sur une garantie des actifs par l'Etat une fois que les pertes sur les actifs toxiques ont été passées?; la reprise, par des investisseurs privés, des actifs toxiques, aidée par une garantie publique de ces actifs, qui est le plan actuel de l'administration américaine. Enfin, la nationalisation "de jure" des banques insolvables à 100% du capital, lesquelles pourront être revendues au marché après avoir été nettoyées.

Sur ces quatre options, les trois premières présentent un sérieux défaut. Dans le modèle reposant sur une "bad bank", publique ou privée, l'Etat peut surpayer les actifs dont la valeur est incertaine, et est amené à gérer, sans en avoir l'expertise, des actifs toxiques.

Ainsi, paradoxalement, la nationalisation pourrait être la solution qui tient le mieux compte des intérêts du marché : elle sort les actionnaires des établissements insolvables tout en offrant une clause de retour à meilleure fortune au contribuable. Et elle permet de revendre au marché la plupart des actifs et dépôts, après que tous les mauvais actifs ont été nettoyés.

La nationalisation répond aussi au problème du "too big to fail" des grandes banques, qui doivent être sauvées au prix fort pour le contribuable. Si la crise s'est aggravée, c'est parce que l'approche actuelle a conduit des banques faibles à prendre le contrôle de banques encore plus faibles, comme l'illustrent le rachat de Bear Stearns et de Washington Mutual par JP Morgan, de Countrywide et Merrill Lynch par Bank of America, de Wachovia par Wells Fargo. Tous ces établissements seront encore plus difficiles à sauver. Avec la nationalisation, l'Etat peut redécouper ces énormes institutions financières pour en faire de petites banques performantes.

Alors que la Suède suivit avec succès cette approche en 1992, la démarche actuelle des Etats-Unis et du Royaume-Uni finira par créer des banques zombies qui, comme les banques japonaises jamais restructurées, ont perpétué le gel du crédit. Si le Japon a connu sa décennie perdue, c'est parce qu'il n'a jamais su nettoyer ses banques. En suivant la même approche, nous risquons le même destin : plusieurs années de récession et de déflation.

Copyright Project Syndicate, février 2009

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