La Fed et la Banque d'Angleterre achètent directement du papier commercial

Par Dominique Chesneau, associé chez Tresorisk Conseil, vice-président du conseil scientifique de la DFCG (Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion).

Les encours de billets de trésorerie, après une amélioration à la fin du quatrième trimestre 2008, sont à nouveau en baisse depuis le début de l'année. Selon la Banque de France, les encours de crédit continuent de progresser régulièrement sur le rythme annuel demandé par le gouvernement de 4%. Parallèlement, les PME restent insatisfaites des modalités de leur financement par le système bancaire. Que se passe-t-il ?

Il semble qu'au moins deux explications peuvent être fournies. D'une part, le délai de traitement des demandes de financement s'est sensiblement allongé. Nonobstant les efforts, dans de nombreux cas couronnés de succès, des équipes du médiateur du crédit relayées par les autorités préfectorales et consulaires, les entreprises ne sentent pas d'amélioration nette de leurs conditions d'emprunts.

D'autre part, les informations disponibles concernent des volumes et de taux moyens. Or, un troisième paramètre n'est pas disponible dans les bases statistiques : la durée des prêts et la maturité des billets de trésorerie. Les données disponibles représentent une photo instantanée des encours. Or, chacun comprend qu'une situation caractérisée par des remboursements deux jours après la fin du prêt (photo Banque de France), ou une conjoncture dans laquelle les maturités résiduelles sont de un mois, sont des états radicalement différents.

Se combinent donc, à la fois, des délais de montage allongés, des montants de liquidité disponibles variables au cours d'un même mois et des durées d'emprunt court terme très réduites. C'est pourquoi, les grands émetteurs ont presque tous émis en janvier, mais cette fenêtre n'est disponible que pour les entreprises multinationales. Aussi, les entreprises ne sont peut être pas en panne de financement mais en risque historiquement élevé de liquidité.

Contrairement à ce que l'on pensait fin 2008, les Etats-Unis semblent être dans une récession moins profonde que les principaux pays européens, indépendamment d'éventuelles anticipations positives liées au plan anti-crise du président américain. Il est trop tôt pour trouver un enchainement d'explications, mais avançons néanmoins une différence majeure entre les deux zones : la Fed achète directement aux émetteurs leur papier commercial. Ainsi, le bilan de la Réserve fédérale représente 15% du PNB américain. Ce constat ne peut laisser indifférent d'autant moins le 12 février, la Banque d'Angleterre a annoncé la mise en place d'un dispositif identique.

La BCE semble réticente. Tout d'abord, philosophiquement, ce glissement pourrait la conduire à terme à accepter le financement de bons du Trésor. Et ceci lui est interdit statutairement. A la différence de la Fed ou de la BOE, elle ne dispose pas de garantie explicite des trésors publics. Probablement, le sauvetage de la BCE en cas de difficulté viendrait des Etats de la zone euro au prorata de leur part au capital.

L'autre raison est technique : les développements informatiques pour suivre avec précision l'évolution de son actif seraient longs ; or, il faut agir maintenant !
Quelques réponses existent. Le risque de création de masse monétaire et donc de retour de l'inflation, est réel...mais peut-on encore l'éviter ? Quand la maison brûle, on ne peut se préoccuper du prix de l'eau ! De plus, la possibilité existe que la masse gigantesque d'émission de dette publique pourrait dans certains cas ne plus trouver preneur. On connaît le cas de la Grèce, de l'Espagne, de l'Italie, de l'Irlande...

On a moins noté que depuis quelques temps, le niveau de "Credit Default Swap" (représentatif de la perception par les investisseurs du risque de crédit sur l'Allemagne) est monté à 0,5%. Du jamais vu. Matthieu Pigasse, vice-président de la banque Lazard, évoquait récemment le risque de faillite de pays développés à l'exemple de l'Islande. Or, cette perception des investisseurs ne sera contenue que s'ils pensent possibles un renforcement des politiques fiscales après la crise. L'inflation n'est donc pas à l'ordre du jour, et elle pourra en son temps être modérée par une hausse de la pression fiscale.

Enfin, le rachat de papier corporate par la FED fait certes gonfler la masse monétaire, mais uniquement la masse monétaire M0, i.e. la base monétaire. Elle ne ferait gonfler la masse monétaire au sens habituel, celle qui pourrait générer de l'inflation, que si les banques privées se servaient de ces émissions monétaires pour gonfler leur propre offre de crédit. Or, c'est précisément ce lien qui est rompu : la banque centrale ne fait que pousser sur une ficelle quand elle veut user de son levier monétaire. A preuve le fait que le bilan de la Fed a triplé, et que la masse monétaire américaine reste tout à fait sage. En fait, les banques centrales ne font que prendre le relais d'un crédit privé défaillant : il y a nationalisation du crédit en ce sens.

Mais si nos amis allemands émettaient encore quelques réserves sur cette solution, il conviendrait de mettre à contribution la BEI à la place de la BCE ! Reste donc la question technique. De la même façon, que les systèmes informatiques les plus puissants sont ceux qui font travailler en parallèle et de façon synchrone, d'autres machines performantes, il est possible d'utiliser les ressources technologiques des banques en complément de ceux de la BEI. Dans ce cas, les banques seraient intermédiaires de titres de créance négociables pour le compte de la BCE au profit des émetteurs de petite taille, puisque les entreprises importantes auraient un accès direct à la salle de marché de la BEI.

Les banques commerciales recueilleraient les billets de trésorerie de faible montant nominal pour les regrouper et créer un produit de titrisation qui seraient vendus à la BEI. Cette titrisation serait déconsolidante au sens des normes comptables IFRS, c'est-à-dire avec transfert intégral et sans recours du risque de contrepartie à la BEI. Ces banques agiraient ainsi comme réseau de distribution ou de concentration de la BEI ainsi qu'en "sous-traitance" de son "back office".

Tous les partenaires de la sphère économique et financière seraient mis à contribution : les banques commerciales, pour leur proximité avec les PME, les autorités consulaires, les conseils extérieurs et les experts-comptables pour la formation et la mise en place. Tout doit être tenté, et tous les acteurs doivent être mis à contribution pour redonner confiance, espoir et reculer l'horizon des agents économiques. Banco ?

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