La nécessaire régulation de la finance alternative

Par Anton Brender et Florence Pisani, économistes chez Dexia AM, auteurs de "La crise de la finance globalisée" (La Découverte).

En quelques mois, les gouvernements de pays occidentaux ont été amenés à prendre en compte une réalité qu'ils préféraient jusque-là ignorer : la globalisation financière a conduit à la formation d'un véritable système bancaire alternatif. On a ainsi découvert à l'été 2007 l'importance des "véhicules" mis en place par les banques et qui, empruntant à court terme de quoi financer des créances plus longues, faisaient, comme elles, de la transformation mais sans être soumis aux mêmes règles prudentielles.

Le système bancaire alternatif est loin toutefois de se réduire à ces seuls véhicules hors bilans. Les hedge funds, les banques d'investissement fonctionnent très exactement selon la même logique : ils empruntent à court terme de quoi financer la détention d'un portefeuille de titres risqués. Si l'on ajoute à l'activité de ces "preneurs de risques", celle des "assureurs" qui de diverses façons déchargent des titres ou des prêts de leur risque de crédit, force est de constater que les risques qui pendant longtemps étaient portés par les banques ? risque de crédit, de liquidité, de taux d'intérêt ? le sont désormais par d'autres.

Le système bancaire alternatif, constitué par cette juxtaposition d'opérateurs, a joué un rôle central dans la crise financière actuelle. Depuis le début de la décennie en effet, les pays émergents ont transféré aux pays occidentaux près de 5.000 milliards de dollars d'épargne. Ils l'ont fait sans prendre d'autres risques qu'un risque de change : pour l'essentiel, le placement de leurs réserves s'est effectué sous des formes peu risquées (dépôts bancaires, titres du Trésor américain, etc.) alors même que leur épargne servait à financer des prêts risqués.

Il n'aurait pu en être ainsi si d'autres n'avaient accepté de porter les risques de ces prêts. Sans l'intervention croissante du système bancaire alternatif, les risques de crédit et de liquidité liés au prêt de l'épargne d'un ménage chinois à un ménage américain n'auraient pu être pris en charge.

Ce rôle accru du système bancaire alternatif dans le fonctionnement de la finance globalisée ne s'est toutefois pas accompagné d'une surveillance accrue, au contraire. L'idéologie dominante était, jusqu'à il y a peu, celle de l'autorégulation. Ainsi, les contraintes prudentielles pesant sur les banques d'investissement américaines, un des piliers du système bancaire alternatif, loin d'avoir été renforcées ont été allégées en 2004.

En même temps, on le sait maintenant, une confiance aveugle dans le jeu de la discipline de marché a permis au système financier américain de faire des prêts toujours plus risqués. Laisser ainsi s'accumuler les risques de prêts dont la qualité n'a cessé de se dégrader dans un système bancaire alternatif soumis à une surveillance de plus en plus lâche ne pouvait qu'être source de dangers...

Que les gouvernements des pays parties prenantes à cet épisode de la globalisation financière aient décidé de tirer ensemble des leçons du désastre par lequel il se conclut est une bonne chose. La logique n'aurait-elle pas depuis longtemps voulu que la finance globalisée soit soumise à une régulation globale ? Cela ne veut pas dire bien sûr, sauf à vouloir pétrifier nos systèmes financiers, que tous les types d'institutions doivent être soumis aux mêmes règles ni qu'une seule autorité doit au niveau mondial veiller à leur respect.

Mais les produits qui circulent dans ces systèmes doivent être soumis à des normes communes et la vigilance avec laquelle sont surveillées les institutions qui y opèrent ne doit plus dépendre de leur pays de résidence. La violence du choc subi et la prise de conscience qu'il a provoquée devraient permettre de trouver un accord visant à rendre peu à peu l'espace financier mondial plus sûr.

Penser que cela pourra suffire à mettre durablement la finance globalisée au service du progrès économique serait toutefois une illusion. Même mieux régulée, sa capacité à prendre en charge des risques aura toujours une limite, comme d'ailleurs la capacité des différentes régions de la planète à utiliser utilement les surplus d'épargne dégagés ailleurs. Les pays exportateurs d'épargne ne peuvent continuer, comme ils l'ont fait jusqu'ici, d'ignorer ces limites.

Ils doivent accepter, lorsqu'on s'en approche, d'ajuster leurs politiques macroéconomiques. Que la globalisation financière implique un minimum de coordination macroéconomique est, là encore, logique. Espérons qu'il ne faudra pas attendre une autre crise pour que les membres du G20 s'en convainquent.

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