Plan du G20 : la fin du mark-to-market ?

Par Alain Gauvin, Avocat, Associé et Docteur en Droit -Lefevre Pelletier & Associés, Avocats (Alger - Canton - Casablanca - Paris - Pékin - Shanghai).

Par delà les milliards que le G20 s'est engagé, le 2 avril dernier, à investir dans la résolution de la crise, l'une des dispositions du "Plan global pour le redressement et la réforme (1)" conduit à nous interroger sur l'avenir du mark-to-market, dont l'objet, doit-on le rappeler, est d'ériger la sincérité et l'exactitude comme principes comptables.

Cette règle a été accusée d'avoir précipité la crise financière et d'en avoir accru les effets. Elle poursuit pourtant un objectif des plus sains : un actif doit être évalué à sa juste valeur ; et l'on considère que la valeur d'un actif est juste lorsqu'elle est actuelle, par opposition à la valorisation historique.

En matière financière, c'est le marché qui fixe le prix et, donc, la valeur d'un actif considéré. Encore convient-il de savoir ce que l'on entend par "marché". Communément, le marché est défini comme le lieu de rencontre de l'offre et de la demande. C'est donc la communauté des acheteurs et des vendeurs qui constituent le marché. Si cette définition est exacte s'agissant des marchés réglementés ou organisés, en revanche, elle ne reflète pas la réalité technique des opérations de gré à gré (ou "OTC" pour "Over The Counter") dont la conclusion et l'exécution ne sont, par hypothèse, pas centralisées dans un cadre spatiotemporel.

Dans le cas d'opérations OTC, on peut tenter de répliquer le marché en ayant recours, pour l'évaluation des instruments financiers non-cotés, à des "market makers". Ces opérateurs des marchés, offrent des cotations sur demande, et ce, en principe, quel que soit l'état du marché. Par exemple, pour une option de change, on peut solliciter l'avis de trois market-makers, considérant que leurs cotations ne devraient pas trop s'éloigner les unes des autres et retenir la cotation médiane comme valorisation exacte de l'opération considérée.

Cette règle consistant à évaluer un actif à la valeur que le marché est prêt à lui donner semble exempte de toute critique lorsque le marché est efficient. Que se passe-t-il lorsque le marché est mort ou, lorsque vivant, le marché devient fou ?

Il y a plus de 10 ans, les crises asiatique et russe ont illustré l'impuissance de la valorisation de marché lorsqu'il n'y a plus de marché. Un contentieux retentissant a démontré les limites du marché en tant que boussole par gros temps (2). Qu'on en juge : les cotations offertes par trois market makers, pour évaluer l'opération objet du contentieux, variaient de 750.000 à 9,5 millions pour culminer à 25,5 millions USD, cotations à rapprocher aux 87,3 millions USD de primes que le contractant non défaillant aurait dû percevoir si l'opération n'avait pas été résiliée ! Quel est le bon prix dans une telle hypothèse où les acteurs de marché divergent tant ? Et qui peut bien dire laquelle, de ses trois cotations, constitue le bon prix ? Le juge de l'époque, saisi de ce litige, s'est refusé à choisir l'une de ces cotations en décidant, purement et simplement, que la méthode utilisée pour valoriser l'opération avait produit un résultat "non raisonnable". Et il avait invité les parties au contrat à utiliser une méthode jugée plus subjective : la valeur de l'opération devait être égale à la perte subie, du fait de la résiliation anticipée de l'opération, par la partie non défaillante.

Il est remarquable que les Grands de ce monde aient attendu le cataclysme que nous vivons aujourd'hui pour s'interroger sur la capacité du marché à produire des prix exacts.

Et la question très pratique qui se pose aujourd'hui est de savoir si les 600 milliards d'euros de pertes et provisions enregistrées par les banques ne sont pas, au moins pour partie, le résultat de la panique des marchés retranscrite dans les comptes.

A cela, le G20 répond par un urgent appel aux normalisateurs comptables, aux superviseurs et aux régulateurs à parvenir à un tronc commun de normes comptables mondiales de haute qualité ! Autrement dit, tout reste à faire, et bonne chance à ceux à qui revient le lourd fardeau d'inventer, ni plus, ni moins, une nouvelle comptabilité financière. Il devront d'abord s'entendre : aujourd'hui, FASB et ISAB font lits séparés, le FASB en ayant déjà émis quelques propositions avec pour objectif d'assouplir les normes actuelles, tandis que l'ISAB est sur la réserve. Or, cette dissonance peut conduire à une incohérence de réglementations comptables entre les USA et l'Europe .

 

 

(1) Texte accessible sur www.g20.org: "The Global Plan for Recovery and Reform".
(2) Peregrine vs. Robinson, Haute Court de Londres, 18 mai 2000. Pour un commentaire de cette décision et des règles de valorisation ISDA, voir : Is ISDA documentation reliable in case of early termination of the Master Agreement¸ A. GAUVIN, Banking Law Journal, Sept. 2001, p. 766.
(3) Disposition No. 15.
(4) La Financial Accounting Standard Board (FASB) développe des normes comptables pour les USA, tandis que les règles de l'International Standard Accounting Board (ISAB) sont suivies par les pays européens.
 

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