L'avocat et le notaire, deux faux ennemis

Pourquoi ne pas imaginer demain un acte établi de concours entre un notaire et un avocat avec répartition entre eux du montant des honoraires, au bénéfice du client ? Le projet des avocats français ne vise pas à abolir l'acte authentique établi par le notaire mais, à l'instar de ce qui existe en Europe, la création d'un acte sous signature juridique établi par les avocats qui aurait des effets juridiques équivalents. Rien de corporatiste à cela, il s'agit de servir l'intérêt des citoyens.

Le rapport de la mission Darrois préconise que les avocats puissent demain établir des actes qui auront la même force probante que les actes notariés et envisage une corédaction avec partage d'honoraires entre un avocat et un notaire. Ces deux professionnels coopèrent déjà souvent et se témoignent une estime réciproque. Pourtant, le très honorable président de la chambre départementale des notaires de Paris a soutenu, dans les colonnes du "Figaro", avant la publication du rapport Darrois, que si l'avocat avait, demain, en France, la faculté de rédiger des actes ayant force probante, comme dans certains États de l'Union européenne, les citoyens seraient confrontés à des questions insolubles. Il n'en est rien : l'expérience de ces autres États le démontre.

D'ores et déjà, les avocats français établissent quantité d'actes offrant la même sécurité juridique que ceux établis par des notaires : cessions de parts de sociétés civiles immobilières, cessions de fonds de commerce ou d'éléments d'actifs, de licences de marques ou de brevets, constitutions de sociétés, fusions-acquisitions, partages de biens immobiliers, cessions de créances, etc. La liste est beaucoup plus longue que celle des actes dont la tradition française réserve le monopole aux notaires. On ne sache pas qu'il y ait plus de sinistres à l'occasion de ces dizaines de milliers d'actes rédigés par les avocats qu'à l'occasion de ceux reçus par les notaires.

Au surplus, dans la hiérarchie des actes juridiques, le testament holographe (c'est-à-dire rédigé de la main même de son auteur avec le concours de son avocat) a une force supérieure au testament reçu par notaire quelques jours auparavant. Il suffit qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur la date à laquelle l'auteur l'a écrit !

Les avocats, même en matière immobilière, rédigent des actes qui, dans le cadre de ventes à la barre du tribunal, seront transcrits à la conservation des hypothèques sans le concours d'aucun notaire. Il en va de même pour les hypothèques judiciaires. L'avantage de l'acte rédigé par les avocats, c'est qu'il n'est soumis à aucun tarif obligatoire, la démonstration étant d'ailleurs faite que, dans les pays où le notaire n'a pas à intervenir, les transactions immobilières coûtent moins cher. Quant à la conservation des actes, les avocats y sont accoutumés par l'obligation qui leur est faite de conserver leurs archives, ce qu'ils font la plupart du temps au-delà des dix années obligatoires. Et, pour ce qui touche à la preuve trentenaire de l'acquisition, elle est assurée par le dépôt des actes à la conservation des hypothèques auprès de laquelle chacun peut en obtenir copie.

Rien ne saurait s'opposer à ce que l'avocat puisse comme le notaire accéder au cadastre par le biais de l'informatique. S'il le fallait, les avocats seraient parfaitement en mesure de créer un service de conservation des actes, comme ils ont su mettre au point les caisses des règlements pécuniaires des avocats qui fournissent, pour tout ce qui concerne les maniements de fonds entre citoyens, une sécurité absolue. Rien n'interdit non plus de créer un système de conservation commun aux avocats et aux notaires.

Ce qui différencie aujourd'hui l'acte établi par un avocat de l'acte établi par un notaire, c'est sa force probante et sa force exécutoire. Pour ce qui touche à la force probante, il suffit que dans toute convention figurent le nom des avocats rédacteurs et leur signature pour qu'elle soit égale à celle des actes de notaire, les parties ne pourront plus soutenir que leur consentement a été vicié. Les actes établis entre plusieurs parties assistées chacune par son avocat auront cette force probante. Loin de nous l'idée d'écarter les notaires de la rédaction d'actes juridiques. Mais pourquoi ne pas imaginer demain un acte établi de concours entre un notaire et un avocat avec répartition entre eux du montant des honoraires, hors tout tarif, pour en diminuer la charge au profit du consommateur de droit ?

Le projet des avocats français n'a pas pour finalité d'abolir l'acte authentique établi par notaire, mais, à l'instar de ce qui existe dans un certain nombre d'États membres de l'Union (Autriche, Portugal, Roumanie, Hongrie, Royaume-Uni), la création d'un acte sous signature juridique établi par les avocats qui aurait des effets juridiques équivalents.

L'existence de tels actes est de nature à apporter au citoyen européen un service de qualité à des coûts raisonnables avec la même sécurité juridique que l'acte authentique. Au surplus, l'avocat qui, contrairement au notaire, a l'obligation de ne jamais se trouver en situation de conflit d'intérêts, prend toujours le soin de demander au partenaire de son client de se faire assister par son propre avocat. S'il n'en veut pas, l'avocat a le devoir déontologique de veiller à préserver les intérêts de l'un comme de l'autre.

La mise en place de cet acte ayant force probante établi par des avocats n'a rien d'une revendication corporatiste. Elle est destinée à servir l'intérêt des citoyens alors que le maintien du monopole des notaires équivaudrait à un privilège anticoncurrentiel et cloisonnerait les marchés contrairement au désir d'unification sans lequel l'Europe ne serait qu'une chimère.

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