Avec l'habitude de chercher sous les réverbères, on ne réalise pas toujours que la réalité est déjà en marche ailleurs. Dans une logique très schumpétérienne, la nouvelle donne écologique, économique et sociale redistribue les cartes. Les dirigeants d'entreprise réalisent aujourd'hui très majoritairement que les leaders de demain sont ceux qui auront su intégrer ces nouveaux enjeux, notamment environnementaux, à leur business model. Contrairement aux apparences, la crise financière est l'accélérateur, mais non le déclencheur, de cette quête d'un nouvel ordre mondial ou d'un nouveau capitalisme.

Depuis quelques années, le consommateur était déjà devenu citoyen, et la planète était déjà en surrégime avant la crise des "subprimes". Compte tenu de la compatibilité croissante entre respect de l'environnement et efficacité économique, le développement de l'économie durable n'est pas freinée par la crise, bien au contraire. Cette "croissance verte" dont beaucoup parlent en prospective est déjà une réalité pour bon nombre d'entreprises, et comme souvent, ce sont les challengers qui bousculent les positions établies.

La PME bretonne Armor Lux, qui s'approvisionne en coton équitable labellisé Max Havelaar, remporte régulièrement les appels d'offres pour les uniformes des policiers, des personnels SNCF, Aéroports de Paris, La Poste, etc... Après une croissance de 10% par an de 1996 à 2005, le marché du bio se paye le luxe d'accélérer depuis trois ans sur la base d'une croissance de 20%. La compagnie Vectrix, qui produit des scooters électriques, fournit désormais le New York Police Department qui abandonne ses bonnes vieilles Harley-Davidson. Le numéro deux de la cosmétique, derrière Unilever au Brésil, s'appelle Natura, qui base toute sa stratégie sur une politique "carbone neutre".

Plus proche de nous, Watteco, une "start up" du Var, développe une puce électronique capable d'éteindre pour vous vos appareils électriques si vous oubliez de le faire. Rainett et l'Arbre Vert montrent que l'on peut être détergeant et précautionneux de l'environnement (et efficace). La Toyota Prius, la Bluecar ou cette fameuse Heuliez démontrent d'autres possibles.

Le marché de la performance énergétique du bâtiment grossit à vue d'?il et les artisans créent un label "éco-artisan" pour y répondre. Les maisons en bois ont le vent en poupe. Des entreprises comme Direct Environnement ou Cycladis se spécialisent dans le recyclage des déchets électroniques, ce qui permet aux fabricants de satisfaire à la réglementation, d'obtenir la norme ISO 14001, et de répondre aux attentes de leurs clients. Spécialistes des bilans carbones ou analyses cycle de vie, organismes et filières de formation aux nouveaux métiers de l'environnement, toutes ces filières sont en plein essor.

Le système de microcrédit de Muhammad Yunus qui concerne aujourd'hui 300 millions de familles symbolise une forme de "social business", pérenne. Sur le seul marché de l'énergie, une étude menée par la Commission européenne estime à près de 3 millions le nombre d'emplois qui seraient créés si l'Europe atteignait son objectif de consommation d'énergies renouvelables fixé à 20% d'ici à 2020.

Du côté des grandes entreprises également, "le développement durable inside" est en cours. Le tourisme vert - et l'hôtellerie de luxe respectueuse de l'environnement - est de plus en plus un créneau porteur. Les constructeurs automobiles savent bien que l'avenir est aux nouvelles formes de motorisation. Dell a lancé, en 2004 déjà, le programme Reconnect en partenariat avec Goodwill Industries, une fondation privée à but non lucratif qui se rémunère sur le recyclage des matériels électroniques et se consacre à la réinsertion professionnelle. Wal-Mart s'engage sur 100% d'énergies renouvelables en devenant lui-même de plus en plus producteur d'énergie.

Cadence, le leader mondial des logiciels de conception des puces électroniques, a lancé le programme "low power" pour optimiser la consommation électrique des microprocesseurs. Mars Alimentaire, le numéro un mondial de la confiserie, a décidé de n'utiliser que du cacao équitable d'ici à 2020. EDF Energies Nouvelles a augmenté son chiffre d'affaires de 80% en 2008, son résultat net de 35%. En 2008, les fonds spécialisés dans les "clean tech" y ont investi près de 12 milliards d'euros à travers 660 entreprises, c'est 42% de plus qu'en 2007, douze fois plus qu'en 2001.

L'enjeu des prochaines années ne sera pas de préserver artificiellement les "business models" existants, mais de laisser les nouveaux se révéler et se développer. Accompagner le changement n'est pas chose aisée tant il est paradoxalement plus facile de trouver une idée nouvelle que de remettre en question une ancienne.