Errare IFRS

Par Georges Pariente, doyen de la recherche à l'ISC Paris Business School, et Didier Vanoverberghe, ingénieur général du corps des Mines, expert international en finance d'entreprise.

Il faut remercier les marchands Florentins du XVe siècle d'avoir inventé la comptabilité en parties doubles : un débit pour un crédit. C'est en s'appuyant sur des informations, fidèles reflets des réalités économiques que, la confiance aidant, le commerce et les activités se développent. De même, l'intention louable des créateurs des normes IFRS ("International Financial Reporting Standards") était de faire que les investisseurs puissent mieux comprendre la valeur d'une entreprise : des chiffres fiables expliquant la valeur de l'entreprise, génèrent un cadre propice pour investir. L'arrivée des IFRS a pourtant précédé une crise économique et financière majeure, aussi devons-nous nous interroger sur leur pertinence.

Quand on veut réaliser des affaires, deux chiffres sont importants : le prix et le coût. Si vous vendez des voitures, leur prix et leur coût viennent alimenter le compte de bénéfices appelé compte de résultat. De même si vous vouliez vendre une entreprise de construction d'automobiles, vous devriez connaître :

- soit les coûts pour créer cette entreprise (achat de tous les actifs, bâtiments et chaînes de montage de véhicules), et vous auriez une vision ancienne comptabilité : des actifs à leur coût d'acquisition.
-soit le prix de revente de cette société, et là vous seriez amené à regarder quels bénéfices fait et fera cette entreprise chaque année et avec quelle probabilité. Acheter une entreprise s'apparente à rendre équivalant le prix que vous verserez immédiatement et les bénéfices futurs actualisés que vous en tirerez. Une autre solution existe. Il s'agit de regarder à quel prix d'autres acteurs achètent une partie de cette entreprise : une action. Vous appellerez cette valeur de marché "juste valeur" et vous serez alors promoteur de la nouvelle comptabilité IFRS. Voici dépeinte à grands traits la nouveauté.

Mais, ce raisonnement repose sur deux principes malheureusement contredits par les faits. Premièrement, la "juste valeur" d'un actif peut s'éloigner fortement de la somme actualisée de bénéfices anticipés sur la durée. En effet, dans la réalité, la transaction s'effectue à un prix instantané très volatile. Ainsi, avant la crise, le marché permettait aux ménages de s'endetter avec comme garantie un bien immobilier surévalué ; la crise installée, il les oblige à céder leur bien à une valeur dérisoire. De même, à plus grande échelle, le manque de lucidité et de vision des risques, par le marché et les banques concernées, a favorisé bulle puis crise.

La seconde erreur, est assez incroyable : s'obliger à ne retenir que le "prix" dans le compte de bilan et oublier le "coût" d'acquisition des actifs et passifs. Ce que personne n'oserait faire pour les résultats, oublier les coûts pour ne se consacrer qu'au chiffre d'affaires, est la proposition centrale en France, de ce passage aux IFRS, pour le compte de bilan. Pourtant, la différence entre la valeur de marché et le coût d'acquisition d'un capital, matérialise la richesse créée et le ratio entre les deux, montre un taux de rentabilité (le q de Tobin) qui ne peut varier économiquement sans intervention de l'entreprise. En oubliant les coûts, pour ne se référer qu'à des valeurs incertaines, les IFRS nous proposent en quelque sorte d'évaluer sans jamais compter !

Si l'on admet comme tout commerçant qu'il est tout aussi intéressant de connaître les coûts que les prix, on exigera à la fois un compte classique en coûts et un compte en valeur. Le compte en valeur fera apparaître en parties doubles, l'opportunité face aux risques : d'un côté une valeur de marché instantanée, de l'autre une valeur plus économique et de long terme, complétée d'une estimation des effets de la dette et surtout d'écarts de valorisation. Ce compte, aura un rôle stabilisateur : si les bénéfices réels croissent, l'écart de valorisation diminuera, si ceux-ci ne sont pas au rendez-vous il annoncera une survalorisation.

De plus, en gardant un compte de bilan classique, on aura accès à, des indicateurs économiques de rentabilité et de croissance vérifiables qui pour reprendre notre exemple expliquent que le nombre de voitures et donc les bénéfices dépendent de la taille de la chaîne de montage et de l'efficience de l'entreprise. Ainsi, lors de la bulle Internet, on a constaté que le coût du capital était réduit à celui d'une obligation sans risque, comme si les bénéfices de ces entreprises étaient sûrs pour les siècles à venir, indépendants de la taille de l'opérateur de télécommunication !

Fort de ces constats, il est possible de sortir par le haut, d'une crise comptable, en se reconnectant à l'économie réelle, plutôt que de dire qu'en Europe : "No, we can't".

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Les auteurs semblent avoir oublié quelques IAS (2, 36, 39, IFRS 3) aux détours de considérations qui nous rappellent assez maladroitement une actualité diverse. (Crises Immobilières, crise automobile, Obama?! ). IAS 2 (stocks) parle bien de coûts. On...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Les remarques de Dtm sont assez expertes mais comme tout expert fermées sur des certitudes. Par exemple, "on propose 2 jeux d'états financiers, lequel va regarder l'analyste": si un analyste aujourd'hui ne regarde qu'un seul état financier, on est tr...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ce qui est proposé en simplifiant à gros traits, pour empêcher que des bulles catastrophiques n'arrivent, et donc des crises, est d'estimer en permanence la taille de la bulle ou de la sous valorisation (valeur de marché moins valeur économique). Com...

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