Le quatrième pouvoir financier face à ses responsabilités

Par Pascal de Lima, économiste en chef, maître de conférences à Sciences po, et François Ladsous, "marketing manager" chez Altran Financial Services.

La chaîne américaine CNBC, bastion du libre marché et égérie de la classe boursière au cours des dernières années, a été attaquée pour le rôle qu'elle a joué dans la récente bulle spéculative responsable de la crise financière. On lui reproche d'avoir relayé des informations erronées, amplifié des phénomènes spéculatifs, stimulé les prophéties autoréalisatrices, et surtout entretenu sa complaisance bienveillante envers Wall Street et ses porte-parole.

Mais CNBC n'est que le symbole visible d'une industrie tout entière dédiée aux investisseurs dont le bras médiatique inclut aussi des radios, journaux et autres blogs d'opinions. Cette industrie dispense des conseils aux investisseurs sous la forme de "news flashs", d'interviews, d'analyses graphiques, chartistes ou autres d'ailleurs? et, bien entendu, il serait commun d'y inclure des stratégies "contre intuitives" pour permettre de maximiser le profit (i.e. "short selling").

La star de ce nouveau système est, ou du moins était, Jim Cramer, d'ailleurs présentateur sur CNBC. Cet ancien "trader" devenu manager de "hedge fund" a créé Mad Money, un cirque médiatique financier sur fond de hard rock où il dispense, souvent en hurlant, des conseils d'investissement qu'il illustre entre autres par des onomatopées sonores (son fameux "booya !") et des animations de taureaux et d'ours (Bear et Bull Market étant les marchés à la baisse et à la hausse). Adepte du "name dropping", il cite fréquemment les "confidences" des patrons de Wall Street mais a au moins le bon goût de ne pas reprendre les rumeurs les plus tordues que l'on trouve si facilement sur la Webosphère.

Suivi par des millions d'investisseurs-fans qui l'appelaient pour l'interroger sur tout et n'importe quoi, sa crédibilité en prit un coup lorsque, le 17 mars 2008, il proclama haut et fort que la firme Bear Sterns allait très bien, était solide et qu'il fallait surtout y laisser son argent ; quatre jours plus tard la firme était rachetée par JP Morgan Chase pour moins de 10% de son ancienne valeur.

Malgré ce revers, l'émission continue à surfer allègrement sur les courbes du marché et si le discours, un peu plus moralisateur et un peu moins gourmand, a changé, les méthodes restent les mêmes.

En France, notre aversion culturelle pour la chose financière a donné un contrepoids politique mais aussi un contre-pouvoir idéologique à l'amplification de ce type de phénomène, lui-même irrationnel par ailleurs.

D'un autre côté, et là est toute la difficulté, nos investisseurs s'informent également dans la presse économique, et ont accès à une information sérieuse qui n'est pas dispensée dans une optique purement d'investissement ou, dirons nous, de profit et qui ne devrait pas être utilisée à des fins exclusives de rendement par la presse elle-même ! En effet, nous savons que les agences de rating (notation) peuvent se tromper et il est commun de voir des agences de presse se rétracter ; à chaque fois, il se crée une fenêtre où l'asymétrie d'information donne à certains un avantage précieux. Or avant que la rétractation ne soit pleinement diffusée, l'erreur a eu le temps de s'amplifier, phénomène purement mimétique, et de faire des dégâts qu'il est difficile à évaluer avec les modèles actuels.

Qu'en est-il donc de la fiabilité de la presse financière ? Si les agences de "rating" sont (malgré tout) soumises à un certain encadrement, il est plus dangereux (et difficile de vouloir) "contrôler" les médias financiers, qui sont des organes de presse. Et, face aux conséquences dramatiques, pour des entreprises ou investisseurs, de la diffusion d'informations pernicieuses dont l'institution financière ne maîtrise pas toujours les paramètres des modèles, la question de la responsabilité des médias financiers se pose aussi chez nous.

N'oublions pas qu'aujourd'hui, alors que l'information est omniprésente et se propage instantanément, elle peut être aussi dévastatrice pour une entreprise que ne le furent jadis les nuages de criquets en Egypte?

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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cette analyse,globalement pertinente,passe un peu vite sur les "erreurs" des agences de notation. Chacun sait que ce milieu, extrêment fermé, est la chasse gardée des Américains et qu'il fonctionne de manière irrationnelle pour ne pas dire plus. Comm...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Bravo pour cette analyse de Pascal de Lima et François Ladsous. Le manque de culture économique en France à parfois du bon... Mais on peut quand même regretter celui-ci.

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