Quel culot ! Voilà plus de vingt ans que Microsoft et son Windows font tourner neuf PC sur dix dans le monde en dépit des colères des gendarmes de la concurrence, au nez et à la barbe des multiples assauts tentés par d'autres éditeurs de logiciels. C'est aujourd'hui Google qui choisit d'attaquer frontalement son illustre compatriote. Que David (bientôt 11 ans) défie Goliath (34 ans) en menaçant ouvertement son actif le plus précieux révèle la métamorphose opérée chez Google.

Au début était l'algorithme, puis le "business model" est venu et la start-up qui a grossi s'est introduite en Bourse, tout en gardant son "état d'esprit" Silicon Valley. Mais derrière l'aspect génial de cette boîte d'ingénieurs, la transformation était déjà à l'?uvre. Et de la chrysalide est sortie une multinationale. L'histoire des deux étudiants de Stanford, Larry Page et Sergey Brin, n'est pas une légende. Et le mode d'organisation de l'entreprise en a longtemps fait un cas à part. Car Google, moteur de recherche imbattable, a inventé de nouveaux services gratuits, le tout grâce à une certaine liberté créatrice de ses équipes. Parmi les nouveaux services lancés sur la Toile par Google, certains s'avèrent être des gadgets qui ne durent pas, d'autres, pourtant très élaborés, sont des "flops" et quelques rares innovations font un malheur. Mais la plupart viennent meubler une palette de plus en plus large de services qui s'adressent aussi bien au grand public qu'aux entreprises.

Ainsi, Street View (photos à 360 degrés prises à hauteur d'homme dans les rues des grandes villes), l'un des derniers services gratuits dont l'usage explose, est né d'une préoccupation personnelle d'un des salariés de la maison. Idem pour Google Actualités, qui a germé le 11 septembre 2001 dans l'esprit d'un ingénieur soucieux d'avoir sur une seule page Web toutes les infos les plus récentes sur les attentats mises en ligne par les grands médias américains. Cette profusion créatrice s'est jusqu'ici imposée d'elle-même sur le marché Internet.

Aujourd'hui, la démarche de Google est tout autre. Un objectif industriel est assigné : lancer un système d'exploitation susceptible de concurrencer Windows. On est dans la même stratégie à long terme que dans la bibliothèque numérique où Google investit des millions et prend des risques économiques et juridiques. Ces choix industriels devront, le jour venu, s'appuyer sur des stratégies marketing et commerciales. Une révolution culturelle qui n'est pas sans risque.