La Concurrence contre la justice ?

Par Patrick Hubert, associé chez Clifford Chance.

La nouvelle Autorité de la concurrence accepte-t-elle la légitimité du juge que lui a imposée le législateur ? La question mérite d'être posée car, à en croire la presse, l'Autorité a vivement contesté un arrêt de la Cour d'appel de Paris lui donnant tort.

Rappelons les faits. Le 19 janvier, l'Autorité de la concurrence a été désavouée par la cour d'appel de Paris dans une affaire emblématique, celle du cartel de l'acier, qui comportait des amendes se montant à 575,4 millions d'euros, les plus lourdes jamais infligées en France pour une pratique anticoncurrentielle. Or, la cour a ramené ce total à 72 millions, une diminution de 87%. La presse a relevé les propos très vifs tenus à ce sujet par des représentants (innommés mais que l'on peut croire "autorisés") de l'Autorité qui se disent "stupéfaits" d'une décision "qui ruine plusieurs années de construction d'une politique de dissuasion", ajoutant que la Commission européenne pourrait "conserver les affaires qu'elle déléguait jusqu'ici aux autorités nationales". Des commentaires bien tragiques autour d'un arrêt qui inflige tout de même 29,4 millions d'euros d'amende au principal coupable. Au surplus, sa lecture illustre parfaitement le rôle spécifique d'un juge dans une telle affaire.

Que dit en effet la Cour ? D'abord, que les sanctions pour pratiques anticoncurrentielles doivent respecter les principes "les plus sacrés" du droit répressif, comme l'obligation d'individualiser les peines. Ensuite, que la décision avait négligé de prendre en compte de nombreux points du dossier : petite taille de certains coupables, facteurs rendant le cartel peu efficace sur la hausse des prix, dédoublement artificiel des sanctions quand plusieurs entreprises d'un même groupe se comportent de la même façon, faible capacité financière d'entreprises confrontées dans la longue durée aux difficultés de la sidérurgie.

Enfin, des précisions ont été données quant à la façon de traiter les transactions entre entreprises poursuivies et Autorité. La cour voit donc plus large que l'Autorité. Elle inscrit le droit de la concurrence dans un solide cadre juridique général. Son message, difficile à entendre peut-être, est clair : des pouvoirs de sanction ne sont pas un instrument pour communiquer par des décisions spectaculaires mais une arme dont l'usage doit être rigoureusement commandé par les détails du dossier.

Certes, l'arrêt n'est pas à l'abri de toute critique. Pour ne citer qu'un problème, il semble s'éloigner de la pratique reconnue en Europe qui consiste à partir du montant des ventes affectées par le cartel pour calculer les sanctions, ce qui est regrettable. Cela ne surprendra pas les praticiens : depuis vingt-trois ans qu'elle est en charge de ce contentieux, la cour d'appel de Paris n'a jamais su intégrer durablement à ses formations de jugements des techniciens du droit de la concurrence, ce qui la conduit à rendre des arrêts qui, sur certains points, paraissent naïfs ou techniquement faibles. Mais ce défaut - regrettable - n'est rien au regard de l'essentiel : la cour ne faillit pas à sa mission qui consiste à veiller à ce qu'une autorité dotée de pouvoirs très larges respecte les grands principes du droit et soit tenue de justifier, par un raisonnement rigoureux, l'usage qu'elle en fait. Que des universitaires critiquent l'arrêt de la cour, c'est leur liberté et leur devoir.

Mais que l'Autorité de la concurrence, même par des voix anonymes, jette le doute sur le rempart légitime dont la loi l'a entourée est troublant. Elle en a d'autant moins le droit qu'aujourd'hui, son président peut se pourvoir en cassation contre les arrêts rendus en matière de concurrence : ce pouvoir ne saurait, en plus, s'accompagner d'une contestation médiatique de son juge.

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