Plaidoyer pour une scission du courtage des dérivés

La proposition américaine de filialiser les activités de courtage sur les produits dérivés a rencontré peu d'échos en Europe. C'est une occasion manquée. La ségrégation du courtage des dérivés serait pourtant une réforme clé. Elle permettrait de réduire le risque systémique, notamment l'incidence du fort effet de levier de ces produits sur la solvabilité des banques, et d'améliorer le fonctionnement des marchés.

Un des points les plus débattus de la réforme de la régulation financière américaine a été l'amendement proposé par le sénateur Blanche Lincoln, exigeant des banques qu'elles exercent leurs activités de courtage de produits dérivés par le biais de filiales indépendantes et dûment capitalisées. Dans la version finale du Dodd-Frank Act que le Sénat s'apprête à voter, les lobbies des banques ont obtenu d'édulcorer cette mesure. Ainsi, les banques américaines ayant accès aux fonds publics pourront garder le courtage des instruments dérivés les plus importants, comme ceux liés aux taux d'intérêt et les dérivés de crédit. Seules certaines activités portant essentiellement sur les dérivés actions, de matières premières et les dérivés de crédits portant sur des instruments "spéculatifs" seront soumises à l'exigence d'une scission.

Curieusement, cette proposition réglementaire et le vif débat qui l'a entourée n'ont eu que peu d'échos en Europe. Pourtant le problème de fond y est d'autant plus présent que les grandes banques prônent un modèle intégré des activités de crédits et de marchés.

C'est de notre avis une occasion manquée. La ségrégation du courtage des dérivés serait une réforme clé, dans l'optique à la fois d'une réduction des risques systémiques et d'un meilleur fonctionnement des marchés financiers. Pour s'opposer à cette ségrégation, les banques américaines ont mis en avant les réformes en cours visant à mieux réglementer les produits dérivés, dont l'enregistrement des transactions de gré à gré et le développement de chambres de compensation centralisées.

Ces mesures seront-elles suffisantes? On peut en douter car une des principales caractéristiques des produits dérivés est leur fort effet de levier : la prise de risque n'est que très partiellement financée lorsqu'une position spéculative est initiée. Ainsi lors des retournements de cycles, les besoins en capitaux des banques peuvent brusquement augmenter.

Par exemple, lorsque l'environnement économique se dégrade, un "vendeur de protection de crédit" doit généralement déposer davantage de liquidités pour compenser l'augmentation du risque de devoir payer la "protection de crédit vendue". Ces mécanismes peuvent créer des risques systémiques, comme le sauvetage public d'AIG l'a montré.

La scission du courtage des dérivés permettrait de réduire l'incidence du fort effet de levier de ces produits sur la solvabilité des banques. Les filiales insuffisamment capitalisées pourraient être mises en faillite sans répercussion directe pour les déposants et les contribuables. Elle pourrait aussi induire une réduction de la prise de risque des banques commerciales. Elle réduirait l'aléa moral grâce à un capital limité et créerait, par la filialisation, une meilleure transparence quant aux expositions et aux risques agrégés, indispensable à l'évaluation du risque de contrepartie et à la dispersion du risque. En renforçant la discipline de marché, cette filialisation offrirait un moyen efficace de circonscrire les volumes d'opérations et risques pris par les banques.

La ségrégation améliorait aussi la liquidité des marchés en temps de crise. La crise récente a très rapidement engendré une disparition totale de la liquidité dans certains marchés de dérivés. En cause, l'opacité quant à la structure du marché et aux risques de contrepartie. Enfin, avec leurs différents métiers, les grandes banques sont inévitablement devenues sources de multiples conflits d'intérêts qui gênent le bon fonctionnement des marchés. Les principes fondamentaux de l'économie veulent que la meilleure façon de les gérer réside dans la séparation des activités, lorsqu'il y a d'autres moyens d'assurer l'offre de services financiers indispensables. C'est le cas des activités de courtage, traditionnellement assez rentables. Il y a peu, nombre de banques américaines opéraient encore par le biais de filiales dédiées, les "derivatives product companies", en réponse à l'exigence d'acteurs telles les institutions financières multilatérales. C'est seulement dans le sillage de la déréglementation des années 1990 que cette discipline avait disparu.

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