L'affaire LVMH-Hermès met le luxe en ébullition

Par Serge Carreira, maître de conférence à Sciences po Paris.
Reuters

L'annonce par LVMH, le 23 octobre, de sa prise de participation de 17,1% dans le capital d'Hermès a choqué le monde du luxe. Malgré les rumeurs de prise de contrôle hostile, le contrôle familial et la capitalisation boursière excessive font d'Hermès une forteresse apparemment imprenable. Au-delà du symbole et quelles que soient les suites de cette initiative, cette annonce a été le signe du retour à l'optimisme dans le luxe. À l'issue d'une année 2009 en berne, et dans un contexte économique international encore incertain, les principaux acteurs du secteur affichent d'exceptionnelles progressions de ventes depuis le début de 2010 : + 37 % pour Richemont d'avril à août 2010, + 22,8 % pour Hermès, + 16 % pour LVMH et + 11,1 % pour Gucci Group (filiale de PPR) pour le premier semestre 2010. Les titres liés au secteur ont, depuis, fait un bond alors que les indices boursiers stagnent encore. Le luxe a donc, bel et bien, retrouvé, en 2010, son éclat mais peut-on, pour autant, parler de bulle ?

Tout d'abord, il y a un effet d'ajustement. Sur les trois dernières années, les évolutions des cours boursiers des acteurs du marché ont peu progressé, à l'exception notable d'Hermès et de LMVH. Beaucoup stagnent ou reculent. Par exemple, le titre PPR n'a pris que 3 %, Bulgari a perdu 24 % et Richemont a baissé de 26 %. Structurellement, jusqu'en 2001 l'objectif des conglomérats avait été de regrouper un large portefeuille de marques. La compétition était acharnée, dans les années 1990, pour acquérir de nouvelles griffes, ce qui a donné lieu à quelques excès. Mais depuis 2001, le secteur s'est recentré sur les marques à fort potentiel. Les acquisitions ont été plus rares et plus ciblées. Dans le même temps, les cessions d'actifs jugés non stratégiques n'ont plus été taboues comme celle de Hackett par Richemont ou celle de Christian Lacroix par LVMH en 2005.

Le marché s'est concentré sur quelques marques qui disposent d'une puissance et d'une notoriété immenses : les « hyperbrands ». Disposant de moyens financiers importants, elles ont, globalement, mieux résisté à la crise que les acteurs de taille plus modeste et ont profité de ces temps difficiles pour accroître leur part de marché. Elles se sont renforcées, notamment, en investissant massivement pour développer leur présence dans les pays à croissance forte. Les ouvertures de boutiques, les événements ou les collections spéciales se sont multipliés à un rythme soutenu dans le monde entier et, surtout, en Chine. Avec la reprise actuelle, ces « hyperbrands » disposent d'une avance considérable pour poursuivre leur expansion.

Les valeurs du luxe avaient été affectées par la crise financière. À l'automne 2008, au coeur de la crise, de vives critiques se sont élevées pour remettre en cause de façon radicale ce luxe tapageur et superficiel des années 2000. Il se disait que les clientes élégantes de New York avaient honte et cachaient leurs achats dans des sacs anonymes. Les principales marques ont réagi vigoureusement face aux nouvelles attentes des consommateurs. Elles ont dû adapter leur discours et valoriser leur héritage, leur savoir-faire et leur singularité à travers leurs campagnes de communication. Louis Vuitton met en scène ses artisans. Gucci montre des images de ses ateliers toscans. Dior ou Chanel disposent, pour leur part, de la magie de la haute couture pour exalter leur prestige. Le luxe a oeuvré pour retrouver sa légitimité. Aujourd'hui, on invoque plus volontiers un luxe discret, un luxe dit « authentique » basé sur des mots comme savoir-faire ou patrimoine. La particularité d'Hermès est d'avoir fondé son identité sur l'artisanat et ses métiers. Cette constance explique, en grande partie, son attrait dans ce monde en changement.

Les fondamentaux du luxe sont solides pour ces « hyperbrands » qui ont consolidé leurs positions. Il est, par conséquent, excessif de parler de bulle. On peut parler plutôt d'un « flight to quality », un transfert des capitaux vers les meilleurs projets. Néanmoins, la forte croissance du secteur est un défi financier, managérial et identitaire pour les marques. Elles vont devoir entretenir le désir tout en renforçant leurs racines. Le bien-être individuel comprend de nouvelles exigences comme l'intégrité, l'éthique et le respect. Plus que jamais, le luxe doit porter du sens et prendre le chemin de l'excellence pour briller et garder tout son éclat, un éclat fragile et délicat.

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