Partage de la valeur ajoutée : ne pas se tromper de débat

Le thème du partage de la valeur ajoutée alimentera les débats de la campagne électorale. Mais, compte tenu de la situation des entreprises en France, l'idée parfois agitée d'une augmentation générale des salaires n'est défendue par aucun économiste.
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Mieux partager la valeur ajoutée, autrement dit la richesse créée... Nicolas Sarkozy a tenté de faire avancer dans cette voie les discussions entre syndicats et patronat. En pure perte. Et pourtant, le thème devrait resurgir, à entendre l'un de ceux qui fut de ses plus proches conseillers, pendant près de quatre ans, Raymond Soubie. Pour cet expert des questions sociales, il s'agit là de la deuxième priorité, après l'emploi, dont on reparlera bien sûr pendant la campagne électorale. "C'est une question d'équité", souligne-t-il. Encore ne faut-il pas se tromper de débat.

S'agit-il de l'aborder sous l'angle macroéconomique ? Pour certains, une façon de revoir ce partage de la richesse créée serait d'augmenter les salaires. Ce thème des hausses salariales resurgit en France avec une régularité métronomique. Il prend aujourd'hui de l'acuité en raison de la mollesse persistante de la croissance. Si celle-ci manque sérieusement de tonus, c'est parce que la demande - consommation, investissement... - reste trop faible, affirment les économistes, unanimes, pour une fois, sur ce point. Comment accroître cette demande ? Pourquoi ne pas doper la consommation, qui représente 56 % du PIB ? Avant de consommer, les Français auraient besoin de disposer de revenus supplémentaires. Augmentons donc leurs salaires ! Cette politique, évidemment populaire, contribuerait au redémarrage de la machine économique.

Mais quelle serait la méthode employée ? Comment décider une augmentation des salaires ? La seule arme à la disposition du gouvernement, aujourd'hui, c'est la hausse du Smic. Problème : l'utiliser reviendrait surtout à augmenter la part des smicards dans la population salariée, l'effet de diffusion aux autres rémunérations, au-dessus du salaire minimum, étant devenu très faible.

En outre, même si les entreprises se décidaient à jouer le jeu, ce ne serait pas sans poser problème à nombre d'entre elles. Directeur des études économiques de Natixis, Patrick Artus souligne ainsi que la France est l'un des pays où les salaires ont été déconnectés de la productivité : même si les gains salariaux sont restés faibles, au cours des dernières années, la productivité l'a été encore plus. Même les plus keynésiens des économistes, tels ceux de l'OFCE, a priori favorables à la relance de la demande, soulignent la fragilité de beaucoup de PME, dont les comptes portent encore les stigmates de la crise. Contrairement aux apparences, la France est l'un des pays où l'emploi a plutôt bien résisté face à la récession : compte tenu du choc, les destructions de postes auraient pu être plus massives. Une augmentation générale des salaires est donc difficilement envisageable, aujourd'hui.

Est-ce à dire que le sujet du partage des richesses n'existe pas ? Si la répartition de la valeur ajoutée entre salaires et profits a peu évolué, sur le moyen terme, toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne. Il y a celles du CAC 40, aux très confortables profits, et qui s'apprêtent à distribuer des dividendes record. Mais là encore, il faut éviter les assimilations trop rapides : plus des trois quarts des profits de ces très grands groupes sont réalisés à l'étranger. Rien à voir avec la situation des entreprises en France.

Encore faudrait-il pouvoir en savoir plus, précisément, sur la réalité des profits dans l'Hexagone. Raymond Soubie souligne à quel point il est urgent de faire la clarté, dans toutes les entreprises, sur le partage entre salaires et bénéfices, sur la part de ceux-ci distribuée en dividendes, en regard de celle mise de côté pour l'investissement. Dans certaines entreprises, un arbitrage différent pourrait être réalisé entre d'un côté les dividendes et, de l'autre, l'intéressement ou la participation des salariés. Au-delà du CAC 40, la tendance a bien été, en France, au cours des dernières années, à une forte augmentation des dividendes, comme l'a souligné le rapport Cotis sur le partage de la valeur ajoutée.

La négociation annuelle obligatoire - qui porte en général sur les salaires - devrait être l'occasion d'une opération transparence sur les richesses créées par l'entreprise et leur répartition. Les chefs d'entreprise n'y sont pas vraiment favorables. De peur, évidemment, d'alimenter les revendications. Il est tentant pour eux de vouloir garder la main... Côté syndical, il existe aussi une crainte d'entrer dans un processus de cogestion.

En tout état de cause, la question du partage de la valeur ajoutée ne relève pas vraiment d'une problématique macroéconomique. L'objectif serait de répondre à un besoin d'équité, manifesté par tous les salariés. Beaucoup d'efforts peuvent être demandés si le sentiment s'impose que la justice progresse, estime Raymond Soubie.

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