Un nuage et des absences : une crise sans démocratie digitale

Par Jean-Christophe Gallien, professeur aux universités de Paris I-Sorbonne et Paris XIII.
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Mais à quoi sert le site Internet du ministère dit de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement ? Le 23 mars, alors que nos territoires sont impactés depuis plusieurs jours (pour les DOM-TOM) ou plusieurs heures (métropole) par les émissions radioactives des centrales japonaises de Fukushima, que trouve-t-on en une du site Internet de la très digitale Nathalie Kosciusko-Morizet ? Aucune trace sur ledit nuage et l'analyse des risques encourus. Internet et ses outils devraient pourtant être au coeur du dispositif ministériel d'information sur le sujet. La mise à jour en temps réel digital des données et surtout les capacités de questionnement et de conversation sur les enjeux du nuage radioactif devraient occuper toute l'énergie et les ressources du ministre et de son équipe de communication.

Incroyable "oubli"... Mais peut-être s'agit-il d'une répartition gouvernementale du travail. Oui, le collectif doit être à l'oeuvre. Je file sur le site du Premier ministre. Réponse sous forme de texte de cadrage introductif qui nous dirige vers le ministère de la Santé : "afin de répondre à toutes les interrogations légitimes des Français, le ministère de la Santé, par le biais de la Direction générale de la santé, met en ligne sur le site du ministère de la Santé une série de documents d'information..." Direction donc la Santé qui reproduit une introduction identique à celle de Matignon et une ultime note de questions-réponses destinée aux patients de la DGS datée du 18 mars. Il nous y est conseillé, pour comprendre la progression du "nuage" et la réalité de la radiation, d'utiliser "le système de surveillance de l'environnement" "géré par l'IRSN qui met à disposition du public ses mesures sur son site Internet https://www.environnement.irsn.fr".

Mais ladite page est introuvable ! Nous insistons, retrouvons le site de l'IRSN (Irsn.fr) et, plus loin, une note datée du 22 mars qui décrit la situation en France suite aux rejets japonais. Il nous est dit : "en France, c'est surtout à partir du 24 mars que des traces de particules radioactives pourraient être présentes dans l'air, à des niveaux très faibles... Ces très faibles concentrations, qui pourraient durer plusieurs jours voire plusieurs semaines, ne seront pas détectées par le réseau Téléray... et seront difficilement détectables par les moyens de surveillance usuels... seules les mesures des échantillons de poussières atmosphériques recueillies par les stations de prélèvement d'air à très grand débit de l'IRSN... devraient permettre une quantification des substances radioactives de l'air émises... Ces prélèvements et ces analyses nécessiteront plusieurs jours avant que les premiers résultats soient disponibles. Ceux-ci permettront de vérifier les prévisions effectuées par modélisation."

Presque rassurés, nous retournons sur le site du ministère de la Santé et surfons de longues minutes sur le portail interministériel de prévention des risques majeurs dont l'objet est de "vous apporter les connaissances nécessaires et les comportements à adopter en situation de crise. Ainsi, face aux risques majeurs, vous serez à même de participer activement à votre protection et à celle de vos proches". Nous trouvons les coordonnées d'une "cellule de réponse téléphonique du ministère des Affaires étrangères pour les familles demeurant ou ayant de la famille au Japon", une description de la situation des réacteurs nucléaires au Japon, l'évaluation de la radioactivité rejetée par la centrale de Fukushima Daiichi jusqu'au 22 mars 2011, et la situation en France et les risques sanitaires avec comme source la Direction générale de la santé. Voilà tout !

Au bout de ce parcours du combattant digital, nous sommes livrés à une communication descendante d'information censée rassurer, utilisant beaucoup le conditionnel (dates de passage, persistance dans l'atmosphère, suite des rejets au Japon...) et renvoyant à plus tard la vérification a posteriori des impacts et des conséquences sanitaires et environnementales. Pas de "conversation" ouverte en ligne ou d'utilisation des outils sociaux. A peine un triste Web 1.0 !

Pour être très différent de l'épisode de Tchernobyl... nous n'avons que peu progressé. Les crises devraient laisser d'autres traces que les blessures. Nous devrions apprendre et corriger. Les outils sont là, digitaux et sociaux notamment. Les attentes et les usages aussi. La confiance a certes besoin d'information mais aussi de débat pour s'installer. La révolution digitale ne semble pas avoir atteint nos côtes, c'est bien dommage pour notre démocratie politique et publique au moment où notre espace public propose de plus en plus de zones de frictions.

Au-delà des incantations et des postures numériques et digitales des unes et des autres, nous avons devant nous une démonstration cruelle des incompétences, ou pire des inconséquences de communication publique de crise de nos autorités.

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