"Emprunts toxiques" : "caveat emptor ! "

Par Philippe Portier, Avocat aux barreaux de Paris et de New York, associé gérant, chez Jeant et Associés
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Depuis un peu plus de deux ans, les « emprunts toxiques » des collectivités et établissements publics locaux alimentent confusément la chronique des « scandales de la finance ». Mais de quel scandale parle-t-on ? Les faits : dix-huit de nos régions auraient souscrit ce type d'emprunts, des dizaines de départements, des centaines de communes, d'hôpitaux ou d'organismes d'HLM y seraient, selon Fitch, exposés à hauteur de plus de 30 milliards d'euros (10 selon le gouvernement). Ces emprunts, dits structurés, indexés sur le cours de devises étrangères pour les plus simples d'entre eux, ont vu leur coût s'envoler au gré des variations des indices de référence utilisés. Motif officiel et médiatique d'indignation, les prêteurs n'auraient pas suffisamment informé leurs clients des risques associés à ces opérations. Fin 2008, le gouvernement demande en conséquence à Éric Gissler d'établir une « charte de bonne conduite » entre banques et collectivités. C'est chose faite fin 2009, mais ses effets ne valent que pour l'avenir. S'agissant du passé, M. Gissler est chargé de jouer les médiateurs. Démarche insuffisante semble-t-il, puisque des élus, rassemblés dans l'association Acteurs publics contre emprunts toxiques, appellent désormais à la création d'une commission d'enquête parlementaire ; certains assignent par ailleurs leurs banques en responsabilité ou en nullité des prêts consentis sur ce fameux fondement du devoir de mise en garde non respecté.

Que penser de tout cela ? Victimes consentantes de législations postmodernes parfois infantilisantes car surprotectrices, nous oublions trop facilement l'adage « caveat emptor » (« que l'acheteur soit vigilant ») qui continue de régir les relations contractuelles entre opérateurs avertis ou professionnels, réputés compétents. Or, c'est bien sur cette logique que se fonde la Cour de cassation, depuis des années et en matière de crédit, pour n'imposer un tel devoir de mise en garde qu'au profit des emprunteurs « profanes ». Le citoyen/contribuable eut pu espérer que, quelles que soient les nuances séparant l'averti du profane, les principales collectivités concernées, emprunteuses structurelles, dotées de services comptables et financiers et entourées de conseils spécialisés, relèveraient par principe de la première catégorie. Pourtant, la charte de bonne conduite de 2009 fait reconnaître aux banques que les collectivités ne sont pas des « professionnels financiers ». Est-ce à dire qu'elles seraient des emprunteuses profanes au sens de la jurisprudence ? Les tribunaux trancheront, au cas par cas, et on peut espérer qu'ils s'attacheront à déterminer dans les faits, et non dans le principe, la compétence supposée d'une collectivité emprunteuse. La tendance observée à ce stade dans les rares affaires traitées semble confirmer ce souhait ; le cas allemand récent de la condamnation de Deutsche Bank - contre une PME de robinetterie ! - ne saurait, malgré sa médiatisation excessive, annoncer une tendance contraire. Il n'en reste pas moins que les épithètes de « toxiques » pour qualifier ces emprunts, s'ils s'inscrivent dans une logique de communication évidente, nient les effets d'aubaine initiaux de ces emprunts (des taux compris entre 0 et 1,5 %...), plébiscités, voire demandés, alors par leurs contempteurs d'aujourd'hui. Les temps ont changé. L'aléa a joué et le risque qui payait naguère se paie désormais. Fallait-il être un financier professionnel ou simplement averti pour comprendre que, dans la finance comme ailleurs, on ne rase pas gratis ?

Au-delà des amalgames faciles, le citoyen observateur devrait moralement renvoyer dos à dos ces spéculateurs professionnels tout comme le gouvernement demandait à son médiateur, en 2009, de faciliter le dialogue entre prêteurs et emprunteurs, dans le « respect des responsabilités des uns et des autres ». Du côté de celles des collectivités, la professionnalisation de la chaîne et du processus de décision relève d'une nécessité urgente que la recherche de boucs émissaires faciles ne devrait pas occulter. La charte de bonne conduite de 2009, la Cour des comptes et plus récemment l'Institut Montaigne ont initié à cet égard des réflexions essentielles dans une perspective de bonne « gouvernance » financière locale.

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