Des fusibles dans le système financier mondial

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris.
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L'annonce, jeudi 31 mars, par la banque centrale d'Irlande que, selon les résultats de nouveaux stress tests, les banques du pays auraient besoin d'un chèque supplémentaire de 24 milliards d'euros (la bagatelle de 12% du PIB, l'équivalent, en France, de 240 milliards d'euros), est l'occasion de revenir sur un élément essentiel des nouvelles régulations, encore en discussion : le risque systémique, et la liquidation ordonnée des établissements devenus insolvables.

Pourquoi s'intéresser à un sujet aussi technique ? La raison en est toute simple : si l'on fait un parallèle avec un réseau électrique, il faut éviter que, si une usine connaît un grave accident électrique, tout le pays ne se trouve plongé dans le noir. Et c'est précisément parce qu'il manquait des "fusibles" que les Etats et les banques centrales n'ont eu d'autre choix, en 2008, que d'intervenir massivement et sauver des établissements qui avaient pris des risques inconsidérés, afin d'éviter un court-circuit généralisé, autrement dit l'effondrement du système, et ce à n'importe quel prix, avec l'argent des contribuables.

L'objet des nouvelles régulations, au-delà de la nécessaire consolidation de chaque banque prise individuellement par le renforcement des exigences en capitaux propres (Bâle III), consiste donc également à faire en sorte que, si malgré tout un acteur majeur fait défaut, il ne contamine pas tout le système. C'est d'autant plus crucial que la corrélation des marchés à travers le monde et entre types d'instruments ou d'actifs (changes, dette, actions, matières premières...) s'est considérablement accrue ces dernières années, renforçant le risque de propagation et d'amplification.

La difficulté, c'est que, à la différence d'un réseau physique, les connexions qui relient les établissements entre eux sont infiniment nombreuses, indirectes, fluctuantes, et difficilement traçables à chaque instant. Placer des fusibles suppose de mieux connaître les points chauds (établissements de nature à entraîner les autres en cas de défaut), les phénomènes de propagation, et de définir ce que l'on appelle un fusible (dont la caractéristique essentielle sera de recourir le moins possible à l'argent public). Or, dans ce domaine, l'essentiel reste à faire. Il n'est pas certain, par exemple, que les conditions d'une liquidation ordonnée, telles que prévues dans le Dodd-Frank Act aux Etats-Unis, suffisent à contenir le risque d'un défaut majeur et ses effets induits. En outre, les sources susceptibles de créer une onde de choc sont nombreuses et opèrent suivant des modes et canaux différents : on le voit avec la crise de la dette souveraine en Europe.

La bonne nouvelle, c'est que le sujet donne lieu depuis 2009 à une intense recherche universitaire. Multiforme, elle explore de nouvelles approches, parfois dérivées de la physique, comme les transitions de phase, ou de domaines mathématiques comme la théorie des graphes, tel le papier présenté par Delphine Lautier et Franck Raynaud (université Paris-Dauphine) au quatrième Forum international sur les risques financiers, organisé en mars à Paris par l'Institut Louis Bachelier et l'EIF, à propos des produits dérivés.

Reste qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire avant de parvenir à des mesures effectives, qui puissent être adoptées et déployées à l'échelle mondiale. Faisant suite à des catastrophes causées par des enchaînements imprévus d'événements improbables se propageant ensuite à l'échelle de la planète, l'importance de ces recherches n'est pas à démontrer. Si l'on se souvient des craintes provoquées par l'émergence de souches de virus grippaux potentiellement dangereux, c'est bien finalement un problème très caractéristique de notre monde qu'il faut mieux comprendre et maîtriser : l'interconnexion. Le risque, c'est que ces préoccupations soient très éloignées de celles des gouvernements, qui ont d'autres chats à fouetter. Un rappel régulier ne peut être que salutaire.

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