Victimes de l'ego

Par Jérôme Marin, correspondant de La Tribune à New York.
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Jusqu'à la semaine dernière, David Sokol était encore l'un des bras droits les plus respectés de Warren Buffett. Le sage d'Omaha ne cessait d'ailleurs pas de saluer ses contributions extraordinaires. A tel point que beaucoup voyaient dans le patron de MidAmerican et de NetJets, deux sociétés contrôlées par Berkshire Hathaway, son successeur désigné. Mais tout cela n'appartient aujourd'hui plus qu'au passé, depuis que David Sokol a remis sa démission. Officiellement, pour se consacrer à la philanthropie.

Une version officielle à laquelle personne ne croit vraiment. Car derrière ce départ surprise se cache une sombre affaire, désormais dans les mains de la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain. Début mars, Berkshire Hathaway rachète Lubrizol, un producteur de lubrifiants, pour 9 milliards de dollars. C'est David Sokol qui, deux mois plus tôt, avait présenté cette potentielle acquisition à Warren Buffett. Au départ, l'investisseur est peu convaincu. Avant de céder. Problème : son bras droit avait acheté près de 100.000 actions Lubrizol une semaine avant de lui souffler le nom de la société à l'oreille. Montant de l'investissement : 9,9 millions de dollars. Un investissement qui vaut désormais 3 millions de plus grâce au bond suscité par l'annonce du rachat.

Rien d'illégal, assure Warren Buffett, soucieux d'éviter que son nom se retrouve mêlé à une embarrassante affaire de délits d'initiés. Mais "ce n'est pas de cette façon que l'on réalise des acquisitions, et encore moins chez Berkshire", rappelle Jeff Matthews, auteur du livre "Pèlerinage à Omaha". S'il n'a pas violé la loi - ce que doit encore déterminer la SEC -, David Sokol a au moins brisé tous les codes éthiques du fonds. Au-delà des faits, cette affaire pose à nouveau la question de l'avidité. Pourquoi, en effet, un manager de cette renommée prend-il le risque de tout perdre, en premier sa réputation, pour un gain de 3 millions de dollars, somme importante mais qu'il convient de relativiser à l'aune de ses 25 millions de dollars de salaires et bonus engrangés en trois ans ?

Cette question s'est également posée pour Rajat Gupta, administrateur reconnu de Goldman Sachs, qui a livré des informations confidentielles sur la prestigieuse banque d'affaires à Raj Rajaratnam, le fondateur du hedge fund Galleon Group, et impliqué dans un immense scandale de délit d'initiés. Et pourquoi ce dernier a acheté ces informations pour réaliser quelques gains modestes - 45 millions de dollars tout de même - en Bourse alors que sa fortune personnelle était estimée à 1,3 milliard de dollars par Forbes.

Pour le ministère public, la cause est entendue : ces hommes fortunés chutent par le sentiment d'être intouchables et surtout par une volonté inébranlable de vouloir toujours plus. Mais l'ego serait également un moteur puissant. "Peut-être voulait-il juste impressionner son interlocuteur, montrer qu'il était au courant et qu'il connaissait du beau monde", résume ainsi l'avocat de Robert Muffat, un ancien cadre d'IBM, impliqué dans le scandale Galleon. Et quand l'ego s'en mêle, l'irrationnel n'existe plus.

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