Les vieux outils de la "nouvelle gauche"

Si les "emplois jeunes" de Lionel Jospin ont aidé les jeunes à trouver un emploi, c'est un emploi public ou parapublic. Avec une conjoncture bien différente de celle de 1997, les "emplois d'avenir" de Martine Aubry ne paraissent pas à la hauteur du problème de l'insertion des jeunes sur le marché du travail.
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La création de 300.000 "emplois d'avenir" que promet le Parti Socialiste si son candidat est élu à la présidence de la république redonneront-ils à la jeunesse française cet avenir que tous les partis lui promettent ? Au moment où tous les Etats de la zone euro se soumettent à une cure d'amincissement, la "proposition phare" du programme du PS, consistant à créer de l'emploi public ou parapublic, est pour le moins anachronique : "même si elle cherche à répondre à la difficulté des jeunes à entrer sur le marché du travail, est-ce bien à l'Etat de leur fournir leur premier emploi ?, se demande l'économiste Jean-Marc Daniel. Ne s'inséreraient-ils pas mieux dans l'économie en étant recrutés par des entreprises en activité, confrontées à la concurrence mondiale ? A coût identique pour les finances publiques, mieux vaut réduire le coût de leur premier emploi dans le secteur privé en le subventionnant directement."

Si Martine Aubry a fait référence explicitement aux emplois jeunes créés par le gouvernement Jospin entre 1997 et 2002, subventionnés à 80%, il paraît difficile de transposer les résultats de cette expérience à la France de 2012. D'abord, parce qu'à la fin des années 1990, la reprise économique était telle, qu'elle permit à nombre de titulaires d'emploi jeune de trouver un travail. "Or, remarque le chercheur au Cereq, Stéphane Jugnot, personne ne peut dire si c'est grâce à l'emploi jeune, ou si les jeunes qui en ont bénéficié, plutôt plus qualifiés que la moyenne, n'auraient pas, de toute façon, trouvé un emploi." "Le problème, regrette Bernard Gomel, chercheur au Centre d'études de l'emploi, c'est qu'aucune évaluation économique en profondeur du dispositif n'a été menée au terme de cette expérience, avec un bilan du coût et des bénéfices pour la collectivité. Tout au plus a-t-on eu des enquêtes en cours d'expérimentation, et une enquête après coup de la Dares sur ce que sont devenus les emplois jeunes des collectivités locales, des établissements publics et des associations." (1)

Que dit au juste cette enquête ? Que "les trois quarts des jeunes embauchés en emploi-jeune début 1999, et qui sont restés au moins deux années en poste ont occupé un emploi immédiatement après leur sortie du dispositif". Ces emplois ont donc bien servi de sas d'entrée dans la vie active. Mais elle révèle aussi que "61% d'entre eux sont restés chez leur employeur sur un contrat de droit commun, à la suite d'une titularisation ou d'un concours, en particulier dans la police. Et que 23% d'entre eux ont été maintenus sur leur poste emploi-jeune, en particulier dans les associations sportives ou culturelles." En clair, ces emplois jeunes ont bien servi de vivier de recrutement, et les jeunes ainsi recrutés ont connu une insertion durable : dix-huit mois après leur sortie d'emploi jeune, seuls 1,6% se sont retrouvés au chômage. Globalement, "un an et demi après leur emploi-jeune, neuf jeunes sur dix étaient en emploi et sept sur dix en CDI."

L'expérience n'est donc pas dénuée d'intérêt. D'autant, explique encore Bernard Gomel, qu' "elle a donné lieu à un mode d'intervention inédit de l'Etat, qui a mis ses ressources au service du développement de prestations qui ne se seraient pas développées sans son aide. Cela a conduit à expérimenter de nouveaux services de proximité, et à répondre à des besoins qui jusque-là ne trouvaient pas de réponse." Les "emplois verts" que promet aujourd'hui Martine Aubry sur le modèle de Barack Obama aux Etats-Unis, seront-ils aussi utiles à la société ? L'expérience américaine permet d'en douter.

Seulement, si 83% des bénéficiaires d'emploi jeunes ont été soit recrutés par leur employeur soit maintenus dans une association, cela signifie qu'ils sont peu nombreux à avoir intégré un autre emploi, en particulier à être entrés dans le secteur privé. Emplois publics par excellence, les emplois jeunes constituent un sas pour rester durablement dans la sphère publique ou parapublique. Si, avec Eric Heyer de l'OFCE, on conçoit ces emplois jeunes comme "un bon plan contracyclique de lutte contre le chômage des jeunes en période de faible conjoncture", une question se pose néanmoins : est-ce que cette première expérience, dans des activités non rentables et au devenir incertain, ne risque pas de les enfermer dans un monde économique qui n'est pas le vrai monde ?

Si mettre le pied à l'étrier des jeunes est nécessaire, est-ce bien leur offrir un avenir que de leur proposer de rester dans la sphère publique ? Ces emplois d'avenir sont-ils bien à la hauteur de leurs attentes ? "Tout se passe comme si ce plan d'urgence, qui mobilisera de gros moyens publics, ne répondait pas au problème de l'insertion des jeunes dans la vraie économie, analyse Bernard Gomel. Pour trouver leur place, les jeunes auraient besoin que les pratiques d'embauche des entreprises changent, ce dont les partenaires sociaux discutent en ce moment et que n'évoque aps le PS. On retire de cette proposition pourtant volontariste d'emplois d'avenir, le sentiment paradoxal que l'État est bien impuissant face au chômage des jeunes."

(1) Dares. Premières synthèses Novembre 2006.

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