L'animal, la machine et l'homme "augmenté"

Par Jacques Barraux, journaliste.
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La pieuvre est intelligente mais peu sociable. Le chimpanzé protège les handicapés. Le phoque a de l'humour. Le chat rêve quand il dort. Le perroquet a un QI de surdoué. Et le robot ? Que sait-il faire en dehors des parties d'échecs contre Gasparov ? L'actualité industrielle, la catastrophe nucléaire du Japon et la vague verte qu'elle provoque dans les pays développés : ces trois thèmes ramènent le projecteur sur le sujet éternel des rapports entre l'homme, l'animal et la machine.

L'actualité industrielle, c'est la multiplication des micro-expériences de relocalisations en Occident, à partir de nouveaux concepts d'ateliers robotisés ou de systèmes d'intelligence artificielle. L'accident de Fukushima, c'est le révélateur d'un retard considérable de l'industrie nucléaire en matière de dialogue homme-machine. La vague verte, c'est l'occasion pour les écologistes de dénoncer les disparitions massives d'espèces animales et le comportement prédateur de l'homme sur la Terre.

L'homme est issu de l'animal et la machine est issue de l'homme. Entre les trois, les rapports sont en perpétuelle redéfinition, comme l'expliquent Georges Chapouthier, biologiste, et Frédéric Kaplan, spécialiste d'intelligence artificielle dans un petit livre pour tous publics (*). Bien avant, l'écrivain de science-fiction Isaac Asimov ou le mathématicien Alan Turing, à chaque époque de l'Histoire, des poètes et des savants ont eu le génie de représenter la réalité sous la forme de métaphores éclairantes. Pour les Grecs, l'homme est un réseau de canaux, les dissections sur des cadavres d'animaux montrant des veines aux fonctions comparables aux systèmes d'irrigation de l'Antiquité. Pour Descartes, l'homme est un mécanisme automatique. Au XIXème siècle, il devient un système électrique. Dans le dernier quart du XXe siècle, on le compare à un ordinateur numérique.

Aujourd'hui, l'homme et la machine s'engagent carrément sur la voie de la symbiose. L'animal s'éloigne de ce couple forgé par la science et la technique. En quelques décennies, on est passé de "l'homme réparé" - prothèses en tout genre, des hanches artificielles aux dents en céramique en passant par les pacemakers - à "l'homme augmenté", c'est-à-dire intégré dans un système technique globalisé.

En 1960, était apparu le terme de "cyborg" ("cybernetic organism"), fabriqué par Manfred E. Clynes et Nathan S. Kline, pour désigner un animal ou un être humain en mesure de survivre à un environnement extraterrestre ! Aujourd'hui, "nous sommes tous des cyborgs", constate le duo Chapouthier-Kaplan. Nous naissons et vivons entourés et soutenus par un écosystème technique. Notre mémoire est de plus externalisée dans les outils numériques. Nous faisons appel à des prothèses cognitives extérieures pour agir, penser, créer.

Tout le problème est de savoir quel est le degré d'autonomie accordé aux machines dont le fonctionnement est le plus souvent automatisé. Le réglage informatique des marchés financiers est jugé peu convaincant aux yeux de l'opinion. Dans l'aéronautique, Airbus et Boeing n'ont pas la même conception de la marge de manoeuvre accordée au pilote face au système autonome qu'est devenu un avion de ligne. Quant à l'accident de Fukushima, il rend urgent le contrôle de l'interface homme-machine de l'ensemble des systèmes techniques à risque installés dans le monde depuis un demi-siècle.

 

(*) "L'Homme, l'Animal et la Machine", de Georges Chapouthier et Frédéric Kaplan (CNRS Editions). A signaler également le "magazine book" des éditions Autrement : "The New Waver", panorama des travaux menés dans le domaine des neurosciences cognitives.

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