Faire de la mesure du risque financier un bien public

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris
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Le système bancaire européen demeure fragilisé par les risques souverains et les effets persistants des folies d'avant 2008 (Irlande, Espagne). Les interventions de la BCE ont dû être poursuivies du fait de la méfiance persistante. Pourtant, il se trouve des banquiers pour critiquer le durcissement des régulations (Bâle III entre autres), évoquer le déficit de croissance et les millions d'emplois perdus qui en résulteraient et faire avec férocité le siège des parlementaires européens et nationaux. C'est à la fois fallacieux et infantile.

Fallacieux, puisque des études universitaires indépendantes, comme celle d'Anat Admati (Stanford Graduate School of Business) publiée en août 2010, et complétée en mars dernier, démontent totalement l'argument selon lequel les capitaux propres seraient coûteux, et qu'en conséquence leur renforcement entraînerait une hausse du coût du crédit, et donc une charge accrue pour l'économie. L'une des raisons tient à ce que l'hypothèse de Modigliani-Miller, bien connue des financiers, ne rend pas compte de la prime de risque qu'un levier important devrait impliquer - sauf quand les marchés, si remarquablement efficients, sous-estiment le risque. Par ailleurs, des papiers publiés sous l'égide de la Banque des règlements internationaux ont démontré que 1) le renforcement des fonds propres représentait en gros une année de bénéfices, ce qui n'est donc pas la mer à boire surtout si l'on compare ce montant aux pertes dues à la crise et 2) l'impact sur la croissance serait inférieur à 0,1 %. Et enfin, un autre papier (Simone Varotto, University of Reading) prouve que les nouveaux ratios seraient encore insuffisants pour absorber un choc majeur de type 1929. Quiconque entend un banquier se plaindre sur Bâle III devrait consulter ces publications. Malheureusement, peu de ministres des Finances les lisent, tandis que leurs lignes téléphoniques demeurent largement ouvertes aux amicaux conseils des grands banquiers...

Mais surtout les arguments contre le durcissement des règles sont d'une pauvreté insigne. Imaginons que l'industrie nucléaire refuse une remise en cause des exigences de sécurité après Fukushima : ce serait inacceptable. Ce que l'on peut espérer dans un cas comme dans l'autre, c'est une confrontation responsable entre une profession et tous les intérêts qui s'y rattachent d'une part, et des contradicteurs rationnels et indépendants d'autre part, sous le contrôle d'un pouvoir régulateur impartial. Et, dans un cas comme dans l'autre, l'enjeu essentiel sera l'amélioration de la mesure et du contrôle du risque. Car c'est bien là que les banques et les marchés ont failli : que ce soit en achetant les yeux fermés le « triple A » attribué par les agences de notation aux produits tels que les CDO, ou en estimant pendant des années la qualité des dettes grecque ou portugaise au même niveau que celle de l'Allemagne.

Une démarche responsable serait de reconnaître le niveau encore très approximatif du contrôle du risque, d'accepter que, faute d'une connaissance meilleure, il est légitime d'accroître les coussins obligatoires (Bâle III) et enfin de déployer des moyens importants pour améliorer les méthodes de mesures.

Cela implique à mon sens qu'une grande partie des données et des méthodologies des institutions financières (agences de notation comprises) soient considérées comme un bien public, et qu'en conséquence leur accès soit librement ouvert aux chercheurs et aux experts. Plutôt que de créer une hypothétique agence de notation étatique (qui réussirait miraculeusement là où les autres échouent, et, cela va de soi, n'hésiterait pas à noter sévèrement l'État qui la finance), permettre à la communauté scientifique mondiale d'entrer dans le coeur du réacteur pour en améliorer le fonctionnement assurerait des progrès notables, et réduirait la coûteuse asymétrie de l'information en la matière.

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