Assurance chômage : quelles leçons tirer du système américain ?

Mis en place depuis plus de quatre-vingts ans aux États-Unis, le dispositif d'assurance chômage fédéral a contribué à amortir les effets des crises sans nécessiter de transferts budgétaires importants entre les différents États. Ceci fournit l'exemple d'un système fondé sur des transferts temporaires et sur un modèle de subsidiarité entre niveaux fédéral et étatique. Par Jean-Baptiste Gossé (économiste à la Banque de France) et Roger Vicquéry (London School Economic).
(Crédits : Spencer Platti/ Getty Images/AFP)

La zone euro ne dispose pas encore d'un système d'assurance chômage commun permettant de stabiliser les chocs macroéconomiques auxquels elle est confrontée. Un point crucial de tension autour du projet de Fonds européen d'assurance chômage concerne la nature, permanente ou transitoire, et la taille des transferts budgétaires qu'il impliquerait. Quelles leçons peut-on tirer de l'expérience américaine en la matière ? Il convient de prendre en compte une plus grande hétérogénéité des marchés du travail de la zone euro par rapport aux États-Unis. Néanmoins, l'expérience américaine fournit un exemple de fonctionnement d'un système fédéral d'assurance chômage reposant sur des transferts entre États. Trois faits paraissent intéressants.

1) Un mécanisme fondé sur la constitution de réserves par chaque État et des transferts fédéraux temporaires peut constituer une première étape susceptible d'apporter un niveau de stabilisation suffisant hors période de crise exceptionnelle. Le graphique 1 montre le caractère hautement contra-cyclique des flux nets d'allocations étatiques et fédéraux versés depuis 1938.

L'INDEMNISATION DES DEMANDEURS D'EMPLOI EST COFINANCÉE AUX NIVEAUX ÉTATIQUE ET FÉDÉRAL

L'indemnisation des demandeurs d'emplois est cofinancé aux niveaux étatique et fédéral

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LA QUASI-TOTALITÉ DES ÉTATS, BÉNÉFICIAIRES NETS DE TRANSFERTS FÉDÉRAUX DEPUIS LA CRISE DE 2008

L'indemnisation des demandeurs d'emplois est cofinancé aux niveaux étatique et fédéral

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2) La crainte de transferts massifs entre États ne semble pas justifiée à la lumière de l'expérience américaine : les transferts permanents fédéraux via l'assurance chômage vers les régions débitrices nettes sont restés à 0,07 % du PIB en moyenne annuelle depuis 1970 et, seulement, 0,01 % si l'on exclut la dernière crise.

3) Si certaines régions américaines ont été structurellement contributrices ou débitrices nettes du système, le cumulé net de ces transferts demeure limité. Par ailleurs, ces transferts interviennent principalement de manière discrétionnaire, sur décision du Congrès.

Un système d'assurance chômage automatique, réactif et contra-cyclique

Comment fonctionne ce modèle ? Un socle de base permet une indemnisation maximale autour de 26 semaines sans transferts budgétaires entre États. Il est financé par les réserves dont chaque État dispose auprès du Trésor, abondées par le biais d'un impôt local sur les salaires (State Unemployment Tax, SUT). Un mécanisme de transferts temporaires permet de maintenir ce socle minimum d'indemnisation si les réserves s'épuisent, par emprunt au fonds fédéral. Les transferts reçus dans ce cadre sont remboursés dans les deux ans, des pénalités financières étant en place à cet effet. Les mécanismes de transferts permanents existent. Ils sont financés par un impôt fédéral (Federal Unemployment Tax, FUT) sur les salaires. D'abord limité aux dépenses de gestion du système, l'octroi d'une extension automatique du socle minimal d'indemnisation, cofinancé par le niveau fédéral et les États, est mis en place à partir 1970. Des extensions discrétionnaires peuvent par ailleurs être votées par le Congrès. Ceci s'est produit à huit reprises depuis les années 1970.

En termes de stabilisation, le système d'assurance chômage américain est automatique, réactif et contra-cyclique, avec des transferts qui permettent de maintenir la consommation des agents privés d'emploi, sans poids excessif sur le budget des États les plus touchés. Hors période de crise exceptionnelle, le système d'assurance chômage fonctionne avec un volume très limité de transferts permanents. Lors des quatre récessions intervenues entre 1970 et 2007, ceux-ci n'ont représenté qu'environ 20 % des flux nets versés et, en moyenne, 0,01 % du PIB chaque année. Cependant, la crise de 2008, par son ampleur, a nécessité une extension des périodes de couverture sans précédent. Au total, entre 2008 et 2013, les transferts nets se sont élevés à 2,3 % du PIB, dont 1,8 % sous forme de transferts fédéraux permanents, alors qu'ils n'avaient jamais dépassé 0,4 % du PIB auparavant.

Afin de mesurer l'ampleur des transferts budgétaires indirectement opérés via le système d'assurance chômage, nous avons reconstitué les flux nets cumulés reçus par chaque État depuis 1970 comme étant la différence entre le montant de FUT versé par les entreprises de l'État au fonds fédéral, moins les flux reçus sous forme de dotations pour l'administration du système, transferts permanents automatiques et discrétionnaires, et transferts temporaires (prêts fédéraux) en attente de remboursement. Nous exprimons ces flux en dollars aux prix de 2010 par habitant.

Un système essentiellement fondé sur des transferts temporaires

En regardant ces flux nets cumulés agrégés au niveau des huit régions définies par le Bureau of Economic Analysis (BEA) et de chaque État, deux faits majeurs émergent. Premièrement, jusqu'à la Grande Récession, sur la longueur du cycle, les allocations versées au niveau fédéral tendent à s'équilibrer avec les cotisations reçues. Par ailleurs, les transferts cumulés nets demeurent relativement faibles, avec un pic moyen de déficit autour de 100 dollars de 2010 par habitant. Deuxièmement, si jusqu'à 2007, certains États apparaissent comme structurellement bénéficiaires (contributeurs) des flux fédéraux de l'assurance chômage, le transfert moyen par tête annuel de l'État continental le plus bénéficiaire n'était que de - 25 dollars de 2010 (Rhode Island) et celui du plus contributeur de + 11 dollars de 2010 (Virginie). La crise de 2008 a toutefois conduit à des transferts permanents sans précédent.

La hausse des transferts post-crise n'a rien eu d'automatique. Face à l'ampleur de la crise, le Congrès américain a décidé de mettre en place un plan d'urgence - prolongé à plusieurs reprises - conduisant au versement de 230 milliards de dollars en transferts permanents. À la suite de la crise, la quasi-totalité des États sont devenus débiteurs nets des flux fédéraux en cumulé. Ces transferts supplémentaires vers les travailleurs directement touchés par la crise ont permis d'en atténuer les conséquences sur le PIB : selon le Congressional Budget Office (2012), une extension du plan d'urgence de 2008 aurait entraîné une augmentation du PIB de 0,4 à 1,8 dollar (soit une moyenne de 1,1) par dollar de coût budgétaire. De plus, ces transferts ont permis de limiter les conséquences sociales des récessions économiques : le département du travail américain indique que 15 % de la population active a directement bénéficié de ce plan d'urgence. Si l'on s'abstrait des dynamiques exceptionnelles de la période récente, l'assurance chômage américaine a donc fonctionné sur plusieurs décennies sans transferts budgétaires massifs entre États. L'expérience américaine fournit ainsi les bases pour un système essentiellement fondé sur des transferts temporaires et pour un modèle de subsidiarité entre niveaux fédéral et étatique

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