Le rêve européen de Politico

Sur le carton d'invitation, les lettres s'affichent en gris et rouge sur fond d'étoiles et de faisceaux lumineux, façon soirée des Oscars : « Europe divides. A make or break year for the Union ». Pour son lancement à Bruxelles, Politico a opté pour le kitsch hollywoodien... et la promesse d'histoires juteuses, comme celles qui ont fait le succès de son grand frère, lancé il y a sept ans à Washington.
Une du site de Politico en Europe.

« Il y a tellement d'ego, de pouvoir, d'argent en jeu ici. C'est un théâtre naturel. Nous allons raconter cela comme personne ne l'a fait avant nous, en y mettant un peu de chair et de sueur », explique Matthew Kaminski, un ancien du Wall Street Journal, bombardé chef d'une équipe de 40 journalistes.

La crise sera le moteur de Politico

Ce qu'il y a de plus savoureux à raconter en ce moment dans la capitale de l'Union, c'est encore la contemplation de sa possible fin. Jean-Claude Juncker n'est-il pas arrivé au Berlaymont en annonçant qu'il présidait « la Commission de la dernière chance » ?

« Nous ne faisons pas un pari sur le projet européen ou contre lui. Nous ne sommes pas actionnaires de l'Union. Les gens veulent juste savoir si cela va survivre ou non », explique cet Américano-Polonais qui a passé cinq ans à Bruxelles au moment du passage à l'euro.

Son carburant, les énormes intérêts économiques brassés par la législation européenne.

La coentreprise créée l'an dernier avec le magnat allemand Axel Springer, éditeur de la Bild, repose sur un modèle économique dual : un fil d'information gratuit (7 millions de lecteurs aux États-Unis) offrant un maximum de scoops, de potins... et servant de produit d'appel à des lettres d'information sectorielles (sur la santé, l'énergie et les nouvelles technologies) taillées sur mesure et vendues sur abonnement à des grands comptes. Les deux rédactions ne seront pas séparées, simplement la cuisine interne des commissions parlementaires ou les détails des négociations entre experts nationaux sur la protection des données ou les procédures d'autorisation des OGM iront nourrir le contenu « pro ».

« Les abonnés doivent se sentir privilégiés », par exemple en disposant pendant douze heures en exclusivité d'une information confidentielle avant sa publication sur le fil général.

Le marché de lobbying est là !

Les multinationales américaines, déjà clientes à Washington, sont aussi celles qui affichent les dépenses de lobbying les plus colossales, à commencer par les géants de l'Internet comme Google, golden sponsor de l'événement de lancement. Reste que ces nouveaux venus vont devoir surmonter les mêmes obstacles que leurs concurrents. Bruxelles n'est pas Washington.

L'affaire des emails supprimés d'Hillary Clinton, qui fait les délices du Hill depuis des semaines, est tout simplement inimaginable dans une capitale où la confidentialisation des informations en est à ses balbutiements. Si un simple amendement dans une directive sur les capitaux bancaires peut certes faire perdre ou gagner des milliards à quelques banques, le budget de l'Union ne dépasse pas 1 % du PIB, quand il oscille entre 30 et 50% dans les États membres ou aux États-Unis.

Les dépenses de lobbying restent modestes comparées à Washington. Et aucun service de renseignement, ni état-major, n'est près d'être piloté depuis le bureau ovale du collège des commissaires, au Berlaymont.

L'équipe de Politico sait qu'elle n'a pas à faire au centre d'un pouvoir régalien, mais à un champ d'influence entre quelques plus ou moins puissantes nations hésitant entre l'union et la désunion.

Son arrivée est un événement politique, parce que personne n'a jamais tenté de donner une identité politique à ce lieu insaisissable, autrement qu'en dilapidant les centaines de millions d'euros de la propagande de la Commission européenne.

« On dit que les Américains sont les meilleurs Européens et il y a beaucoup de vérité là-dedans », disait Walter Hallstein, le premier président de la Commission européenne.

Ce lancement en fanfare n'est pas fait pour le démentir.

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