Migrants : le blues de l'Est

Surlendemain de Conseil européen près de la place du Luxembourg. Le percolateur fait un raffut terrible, façon bistrot romain. Le café est italien et excellent, l'anglais... bruxellois. Le regard clair et l'humeur maussade, Jan (*), un diplomate centre-européen raconte « son » conseil : la conférence de presse tardive de son Premier ministre, le communiqué du « groupe de Visegrad », bouclé au milieu de la nuit, et finalement assez proche de la position des vingt-huit.
Florence Autret

Il aura fallu attendre le sommet des chefs d'État pour que les principales demandes de l'alliance ad hoc entre la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie soient satisfaites.

Le Conseil européen a bien décidé de renforcer le contrôle des frontières de l'Union européenne et d'apporter une aide massive aux pays limitrophes de la Syrie pour « contrôler le flux ». « C'est ce que nous voulions », dit-il. Tout va bien. Sur le papier au moins.

Mais cette victoire a un goût amer.

Son pays appartient à ce groupe qui a opposé jusqu'au dernier moment une farouche résistance aux quotas proposés par la Commission européenne avant d'être mis en minorité. Vouloir mettre en place des quotas avant de contrôler les frontières « était un non-sens », répète mon interlocuteur. La preuve, c'est que la Grèce et l'Italie font déjà savoir en coulisse que s'il leur fallait (re) trouver maintenant les dizaines de milliers de réfugiés que leurs voisins sont censés accueillir par solidarité... ils ne pourraient les (re) trouver, rappelle-t-il.

La séquence de ces dernières semaines « laissera des traces », explique-t-il. Les rangs du groupe de Visegrad, dont les membres ont été accusés de manquer de solidarité, se sont divisés.

Comme déjà par le passé, ses rangs se sont desserrés. La Pologne, à cheval entre grandes et petites nations européennes, a « occidentalisé » sa position à la dernière minute, votant finalement pour les quotas.

« Ce n'est pas la première fois... Ils ont mieux que nous compris l'importance de la relation avec l'Allemagne », explique le diplomate.

De l'autre côté, la Hongrie s'est laissée entraîner dans une surenchère xénophobe et frondeuse, annonçant qu'elle n'appliquerait pas la décision (ni pour le transfert des migrants depuis son territoire, ni pour l'accueil du quota qui lui est réservé). Finalement cette intransigeance nuit aux deux autres qui auraient aimé qu'une fois le camouflet de leur mise en minorité passé, on ne parle plus de ces histoires de quotas.

C'était compter sans le président Hollande qui, mercredi, à peine arrivé à Bruxelles, s'est empressé de les rappeler à l'ordre.

« L'Europe c'est un ensemble de valeurs, c'est des principes. Ceux qui ne veulent pas les respecter doivent se poser la question de leur présence au sein de l'Union européenne », a-t-il déclaré.

Qui visait-il vraiment ? Orban ?

La Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie qui avaient voté contre les quotas ? Les Centre-Européens en général ?

On ne peut s'empêcher de penser au « ils ont perdu une bonne occasion de se taire » lancé en 2003 par Jacques Chirac aux dix pays (dont la Slovaquie) venus, contre l'avis de Berlin et Paris, soutenir l'Amérique de Georges Bush dans son entreprise irakienne.

Aujourd'hui encore, une différence de perspective sépare les Européens de l'Est de ceux de l'Ouest.

Les premiers ont les yeux rivés sur la Russie de Poutine et le risque d'un embrasement en Ukraine, et assistent en spectateurs au complexe jeu syrien où l'alliance de facto entre Européens, Américains et Russes se noue sans éclaircir le sort du responsable de ce déferlement : Bachar el-Assad.

Bousculés par cette crise, ils oscillent entre la vraie peur d'une déferlante de migrants, un sentiment de stigmatisation par ses voisins européens et une vague culpabilité de ne pas faire plus.

Rien n'est irréparable. Les décisions du sommet extraordinaire du 23 septembre pourraient aider à refermer la plaie... à condition qu'elles soient mises en oeuvre.

(*) Le prénom a été changé.

Florence Autret

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