En matière de souveraineté économique, financière, juridique, numérique et technologique, la France a perdu de nombreuses batailles. La liste des fleurons de notre industrie nationale passés sous contrôle étranger est connue : Pechiney/Alcan, AlcatelAlstom, démantelé et vendu à l'encan, l'un à Nokia, l'autre à l'américain GE, Technip/FMC, Arcelor/Mittal, les exemples sont légion des pépites que malgré l'intérêt national nous n'avons pas su garder dans notre giron. Et il est acquis aujourd'hui que ce véritable gâchis s'explique par une forme de démission intellectuelle, anti-industrie, et un manque de vision à long terme.
Les signes de notre soumission économique sont nombreux : par le truchement de l'extraterritorialité de leur droit, les États-Unis, qui sont certes notre allié, ont assis leur domination commerciale et financière sur le terrain juridique : avec BNP Paribas condamné à de lourdes amendes par le puissant Department of Justice (DoJ) avec lequel il vaut mieux négocier, avec Total et ses investissements en Iran soumis aux aléas des embargos américains, avec Airbus, le capitalisme anglo-saxon sait employer le rapport de forces.
Des enjeux dépassant les compétences des politiques
La France et l'Europe ont longtemps fait preuve de naïveté ou de négligence face à ces enjeux qui sans doute dépassaient les compétences des dirigeants politiques. Dans certains cas, nous avons été placés devant des faits accomplis, notamment devant l'écrasante domination des géants américains de la tech dans le nouveau monde d'Internet. Résultat, nous sommes démunis face à la puissance quasi monopolistique des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et des BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiami, auxquels il faudrait ajouter Huawei) chinois.
La technologie porte la menace sur de nouveaux terrains : le Cloud Act est une menace directe sur la propriété de nos données les plus stratégiques : la tentative, pour l'instant avortée, de Facebook de créer avec le Libra une monnaie mondiale concurrente du dollar et de l'euro est un défi pour le premier pouvoir régalien, celui de réguler la monnaie.
L'étape de la prise de conscience est passée
La bonne nouvelle, c'est que nous avons achevé la phase de prise de conscience. Un récent rapport du député LREM Raphaël Gauvain appelle à une modernisation de la loi de blocage de 1968 qui vise à protéger les informations stratégiques des entreprises françaises. À Bercy, la Direction générale des entreprises a mis en place une nouvelle stratégie de sécurité et de souveraineté économiques. Une cartographie de l'ensemble des actifs stratégiques français à protéger a été élaborée. Le seuil déclenchant le contrôle des participations a été abaissé de 33 % à 25 % désormais.
Outre cette modification du seuil de contrôle, de nouveaux secteurs vont également être scrutés par l'administration.Le gouvernement veut notamment garder un œil sur les prises de participation dans le domaine des médias et de la presse écrite, papier et numérique. Toutes les technologies dites « critiques » font l'objet d'une attention particulière depuis un an : cybersécurité, intelligence artificielle, robotique, fabrication additive, semi-conducteurs, quantique et stockage d'énergie figurent dans la liste. Pour la France, et l'Europe, l'heure est désormais à un nationalisme économique assumé. L'attitude brutale d'un Trump qui veut soumettre l'Europe produit une réaction politique dont la taxe Gafa ou la réflexion sur un numérique européen sont des indices salutaires. Espérons seulement qu'il ne soit pas déjà trop tard...
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