La voiture du futur perdue dans sa transition

[Édito] Sur le papier, l'affiche est belle : deux mains tenant un volant invisible, sur fond noir. Les organisateurs du Salon ont voulu ainsi symboliser, pour ce 120e anniversaire du Mondial de l'automobile de Paris, les transformations profondes de cette industrie à l'aube des années 2020. Pression environnementale, mutations technologiques, montée du protectionnisme : si l'automobile a toujours su survivre aux crises, celle qui vient s'annonce comme la plus décisive pour le secteur, car elle est multidimensionnelle. Par Philippe Mabille, directeur de la rédaction.
Philippe Mabille
(Crédits : Pixabay / CC)

Pour l'automobile, tout change en même temps et très, très vite. Dès cette semaine, le Parlement européen va ainsi adopter de nouveaux objectifs très sévères de réduction des émissions, à l'horizon 2030. Face à la demande sociétale de villes zéro carbone, dont vont être tour à tour exclus les moteurs diesels, puis les moteurs à essence (respectivement 2024 et 2030 à Paris, souhaite Anne Hidalgo), les constructeurs doivent faire dès à présent des choix technologiques drastiques. L'électrification avec le moteur hybride ne suffira pas, il faudra aller vers le tout électrique, qui est selon Carlos Ghosn, le président de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi « la technologie ultime ».

Avec l'électrique, plus de 40% du prix de la voiture sera désormais dans la batterie

Une mutation lourde de conséquences que redoutent les constructeurs, même s'ils affichent tous la même bonne volonté d'électrifier leur gamme, comme ils tentent de le démontrer au Mondial 2018. Carlos Tavares, le président du groupe PSA, l'a très bien dit : si les constructeurs disposent des briques technologiques pour aller dans cette direction, « ce qui fait débat, c'est la vitesse à laquelle il faut transformer l'ensemble de l'industrie automobile pour atteindre des objectifs d'émissions particulièrement sévères ». Pour les constructeurs, l'enjeu social est considérable : il faudra beaucoup moins de pièces et donc beaucoup moins de monde pour produire des véhicules électriques. Toute la filière, des équipementiers aux assembleurs, sera impactée, avec à la clé des suppressions d'emplois, ou au moins une mutation des emplois.

L'industrie automobile va aussi devoir s'adapter à un déplacement de la valeur économique, à son détriment. Avec l'électrique, plus de 40% du prix de la voiture sera désormais dans la batterie. Or, comme les panneaux solaires, les batteries, qui dépendent de l'accès à un certain nombre de terres rares, sont en train de devenir un monopole asiatique, chinois, coréen, japonais. D'où la contradiction majeure : en voulant accélérer l'adoption de la voiture électrique au motif louable de lutter contre la pollution et de freiner le réchauffement climatique, les politiques sont en train d'organiser le déplacement vers l'Asie de la moitié de la valeur ajoutée du secteur automobile européen. On respirera mieux, certes, mais on subira dans l'automobile la même domination que dans les télécoms ou Internet.

La bascule en moins de dix ans du thermique à l'électrique est à la fois irréaliste et irresponsable

Pour éviter cela, il est urgent de développer une filière européenne de la batterie. Les avancées technologiques pourraient le rendre possible, en passant du lithium-ion aux batteries solides, mais encore faut-il donner l'impulsion politique et donner à l'industrie le temps que ces innovations arrivent à maturité. À Bruxelles, on parle beaucoup de "l'Airbus des batteries", mais rien ne se passe concrètement. Il y a donc une part de schizophrénie dans les injonctions contradictoires auxquelles est soumise l'industrie automobile. On lui demande de changer de modèle brutalement, sans avoir réfléchi aux conséquences, sociales et économiques, que cela pourrait provoquer.

Bien sûr, on peut à juste titre reprocher aux constructeurs européens d'avoir trop longtemps vécu sur la rente du diesel. On peut aussi reprocher à certains, à l'image de Volkswagen, d'avoir menti sur les normes de pollution. Le procès est en cours. Mais imaginer la bascule en moins de dix ans du thermique à l'électrique est à la fois irréaliste et irresponsable. Pour l'heure, la principale conséquence de la chasse aux diesels a été l'explosion des ventes de modèles à essence, et donc l'augmentation des émissions de CO2.

L'objet automobile doit devenir un service de mobilité

En réalité, nous sommes en train d'assister à un changement de nature civilisationnel : si la voiture du futur devient aussi élitiste et chère qu'on le voit dans les modèles présentés cette année au Mondial de l'automobile, si la voiture individuelle ne trouve plus sa place dans nos grandes métropoles, il va falloir changer de modèle de société. L'objet automobile, promesse de liberté individuelle, va devoir devenir un service de mobilité, partagé entre tous. Cette révolution de l'autopartage, qui vient de connaître un coup d'arrêt à Paris avec le fiasco Autolib', doit d'urgence être réinventée.

À l'avenir, nos enfants n'achèteront pas une automobile, mais une solution de mobilité tout au long de la vie, adaptée à l'évolution de leurs besoins et de leurs usages. C'est encore de la science-fiction, mais finalement pas plus que la voiture autonome, pourtant en passe de devenir réalité. De sorte que peut-être, nos enfants n'auront non seulement pas besoin de posséder une voiture, mais aussi ne seront plus obligés de passer le permis. Avec cette voiture électrique et autonome, ce sera aussi la fin des amendes de stationnement, des excès de vitesse et des accidents de la route... Enfin, peut-être !

Philippe Mabille

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Commentaires 19
à écrit le 31/10/2018 à 9:13
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À quoi bon tant de technologie coûteuse et compliquée, si nos routes sont pourries et nos revenus anémiques ? Retour à la deuche, ça urge !

à écrit le 10/10/2018 à 18:38
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s'en sera fini de la voiture individuelle ! "on" vous en louera une à chaque fois encore plus propre, que la précédente, chaque microbe désinfecté un par un, avec vos objets personnels que les robots auront pris soin de transférer moyennant une pet...

à écrit le 09/10/2018 à 16:35
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La transition Hybride est là justement pour permettre à la recherche d'aboutir à des batteries dénuées de terre rare avec des rendements optimaux éventuellement supérieurs à ce qui se fait aujourd'hui. Le problème des terres rares sera contourné à m...

le 09/10/2018 à 18:49
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Les chinois entre autres font des véhicules plus petits, plus légers électriques et moins chers. Il y ajoutent de plus en plus le solaire. Au total ils augmentent l'autonomie et nécessitent moins de batteries. Ils les vendent sous différents noms loc...

le 10/10/2018 à 11:35
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Récupérer des terres rares sur la lune ? Vous êtes dans le déni du réel. Il n'y a aucune faisabilité économique et écologique à un tel projet. Le programma Appolo a ramené péniblement 380 kilos. Pour faire cela, il faut installer sur la lune un...

à écrit le 09/10/2018 à 16:04
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Comme si on avait le choix ? la question est de savoir comment et non pourquoi. Seule la multiplicité, ou la multitude comme diraient les disrupteurs, permettront de trouver la ou les solutions adaptées. On peut malgré tout analyser les raisons des...

à écrit le 09/10/2018 à 11:29
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toutes les petites voitures essences des dernières années polluent.....+ de CO2 et plus de Nox ...sans parler des micro particules...... je ne parle pas des suv.......bref, le taux de co2 a augmente en france.....

à écrit le 09/10/2018 à 11:25
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ce que veut dire l auteur, c est qu il faut avoir une politique volontariste mais réaliste.......les moteurs a explosion vont évoluer fortement d ici deux a trois ans.....en commençant par le morteurazda 2019 en essence.....- 30% en conso, idem pour ...

à écrit le 09/10/2018 à 9:57
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Pour simplifier , le futur c'est plus de chomeurs qui respireront mieux .

à écrit le 09/10/2018 à 9:02
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En parlant de voiture : Les pick-ups ne sont pas soumis au malus automobile. Une exemption qui fait perdre environ 200 millions d'euros par an à l'Etat.Voilà un avantage qui a de quoi interroger sur la logique de la fiscalité environnementale… Si ...

à écrit le 09/10/2018 à 9:02
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Je ne comprends pas bien votre article, quel est le côté irresponsable du passage du thermique à l'électrique? Parlez vous de l'impact social? On respirera mieux, certes, mais on subira dans l'automobile la même domination que dans les télécoms ou...

à écrit le 09/10/2018 à 8:57
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Pas une seule fois sera évoqué la vrai question des métaux rare pour construire ces batteries. C’est déjà évident que ce n’est pas la solution. Pour info, les batteries de nos téléphones utilisent déjà quasiment toutes les ressources de notre planète...

le 09/10/2018 à 16:48
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les métaux rares ne sont justement pas rares. Il y en a partout, simplement des pays comme la France refuse de créer les mines nécessaires à leur extraction et préfèrent en laisser le monopole à la Chine.

à écrit le 09/10/2018 à 8:34
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Le gouvernement nous incite à nous équiper de voitures plus propres et notamment de voitures électriques. Afin de ne pas reproduire les conditions qui ont conduit les français à s’équiper massivement en véhicules Diesel dont on découvre aujourd’h...

le 10/10/2018 à 7:55
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100 % d'accord pour une information totalement objective, transparente, intégrant l'ensemble des paramètres, et non biaisée par des intérêts divergents et des lobbies

à écrit le 09/10/2018 à 8:30
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"Cette révolution de l'autopartage, qui vient de connaître un coup d'arrêt à Paris avec le fiasco Autolib', doit d'urgence être réinventée." IL faudrait renouer avec les services publics, seuls eux peuvent arriver à influencer en masse les habitu...

à écrit le 09/10/2018 à 8:16
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Des terres rares, il y en a partout et pas qu'en Chine. Simplement en Europe, et particulièrement en France, on a fait le choix d'abandonner le secteur minier, rajoutant ainsi une dépendance de plus. Quant à l'automobile, une idée pourrait être d'enj...

à écrit le 09/10/2018 à 7:38
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Assez incohérent comme article. On est soit disant libéral et on attend de l’europe Qu’elle organise un Airbus des batteries. Mais cela fait au moins 10 ans que les coréens et les japonais sans parler des chinois l’on fait. Sans avoir l’Union europé...

le 09/10/2018 à 8:10
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Les constructeurs européen traînent des pieds pour justifier l'octroie de subventions juteuses. Ils veulent faire payer les frais de recherche par les états qui semblent de connivence. Les "investisseurs" européen ne sont en fait que des rentiers bib...

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