AG de Fortis à Gand : choses vues et entendues

Le 28 avril, les actionnaires de Fortis holding ont approuvé à 73% l'adossement de Fortis Banque Belgique à BNP Paribas. Au-delà du résultat, cette assemblée générale a été un moment étonnant, tout à la fois joute verbale et défouloir pour quelques milliers d'actionnaires venus pour en découdre. Récit.

11heures. L'AG a commencé depuis quelques minutes. Son président Jozef De Mey donne la parole à la salle. Dans l'immense hall du parc de exposition de Gand ont été disposés une douzaine de micros. L'associé de Deminor, Pierre Nothomb, qui a mené l'opposition au deal avec BNPP aux côtés de l'avocat Mischaël Modrikamen, en prend un. « Le deal est toujours aussi inacceptable pour la banque et pour la Belgique. Fortis Banque dispose d'un des ratios de solvabilité les plus élevés d'Europe, c'est une banque rentable et sa liquidité est rétablie », assure-t-il. Et d'ajouter, suite à l'annonce faite par l'actionnaire chinois Ping An (un peu moins de 5% du capital) : « Nous prenons cette position [de Ping An] comme une caution au projet industriel du stand alone », autrement dit l'option d'un cavalier seul de la banque sous drapeau belge. Puis il embraye sur les fameux fonds d'investissement pour lesquels le conseil d'administration dispose d'une procuration et dont il sait qu'ils assurent la victoire aux partisans du « oui » à BNPP. « Aux anciens actionnaires s'en sont ajouté de nouveaux... Ces actionnaires sont probablement les mêmes hedge funds que ceux qui ont poussé Fortis dans l'abîme » fin septembre en vendant massivement des actions à découvert, dit-il.

La salle entonne alors des « DEMISSION, DEMISSION » à l'adresse de Jozef De Mey, qui préside le conseil d'administration et de Karel de Boeck, l'administrateur délégué.

Mischaël Modrikamen s'empare du micro sous les bravos. « Nous vous avions donné un mandat clair : c'était « non ». Vous revenez avec de nouveaux amis plus exotiques les uns que les autres ». Il désigne alors un « fonds enregistré dans les îles Caïman » qui dispose de « 70 millions" d'actions. S'il n'a « pas de lien officiel avec BNPP », son directeur général n'en est pas moins un ancien inspecteur des finances français et un ancien conseiller de Dominique de Villepin. Il s'agit en réalité d'Alain Demarolle, directeur Europe du fond Eton Park, dont le nom n'est toutefois pas prononcé. Eton Park dispose de 68 millions d'action et n'a pas démenti avoir donné procuration au conseil d'administration. Maitre Modrikamen s'abstient de violer l'engagement de confidentialité contre lequel il a obtenu le droit de consulter la liste des actionnaires inscrits à la veille de l'AG. « Les actionnaires historiques représentent 25% de l'AG... ces nouveaux amis ont acheté à 0,5 euro et feront une plus-value rapide. Fortis holding agit comme leur mandataire pour 200 à 250 millions de titres », avance-t-il. Il invoque alors la loi sur la transparence votée en 2008 qui impose, en cas d'action de concert, à déclarer les mandats à la CBFA, le superviseur financier belge. « Fortis ne peut pas voter » en qualité de mandataire, assure-t-il. Il tente d'obtenir de faire voter l'AG pour savoir si oui ou non Fortis peut prendre part au vote selon, assure-t-il, « les règles de l'assemblée délibérante ».

Vient le moment de vilipender la vente à une banque étrangère. « Fortis c'est 40% de l'épargne belge... au profit de Paris, de la France et de M. Sarkozy... Il n'y a qu'en Belgique que l'on vend ses fleurons pour une bouchée de pain. Tout cela est une question de vision et d'ambition. C'est ce qui vous fait cruellement défaut », dit-il.

Il  revient alors à la déclaration de transparence concernant les votes par procuration, à défaut de laquelle « les votes sont suspendus » et somme à nouveau Jozef De Mey de faire voter l'assemblée sur l'exercice de ces droits de vote.

Le président ne réagit pas. « Levez vous », lance alors Mischaël Modrikamen aux actionnaires, « j'invite les actionnaires à se rapprocher » afin de faire respecter les règles de l'assemblée délibérante ». Une partie des actionnaires vient alors se masser au pied de l'estrade. Immédiatement une douzaine de gardes du corps se poste derrière les six personnes assises sur le podium. D'autres actionnaires, venus voter « oui », restent assis, stupéfaits du tour que prennent les choses.

Mischaël Modrikamen proposera plus tard d'ajourner l'AG et de faire trancher par le juge la participation ou non des droits confiés à Fortis qu'il avait tenté la veille en vain de faire invalider par le tribunal de commerce en référé.

L'AG a commencé depuis une heure. Le rapport de force est établi. Jozef De Mey manifeste une sorte d'impassibilité embarrassée qui laisse penser qu'il attend que les choses se tassent pour passer à l'ordre du jour. « On doit vider la querelle sur les droits de vote avant de commencer à voter sur les points à l'ordre du jour », assure quant à lui l'avocat.

Debout sous l'estrade, une femme lance : « moi, mes actions, j'ai fait une croix dessus. Ce n'est pas pour cela que je me bats ». « C'est de la magouille depuis le début », ajoute une autre. Elle prête même au Premier Ministre des propos qu'il n'a jamais tenus. « Van Rompuy a dit à la télé que les gens qui votent « non » seront tous fichés ». Elle ne sait plus sur quelle chaîne. « Si le deal passe, les gens vont retirer leur argent », assure une autre. « Ils vont acheter une coquille vide ». « J'ai pris mon congé pour être ici. Mais s'ils font 10 AG, j'irai aux 10, quitte à y passer toutes mes vacances », ajoute cette dame qui a « hérité les actions de son père » et admet ne jamais être allée à une assemblée générale auparavant. On pense alors dans la salle qu'un ajournement de l'assemblée reste possible.

Jozef De Mey procède à une première interruption de séance. A son retour, sa position n'a pas varié : tous les actionnaires valablement inscrits doivent voter aujourd'hui. « La demande de Mischaël Modrikamen a été rejeté » par le tribunal, rappelle-t-il. « L'assemblée générale peut donc procéder au vote dans sa composition actuelle. Il n'y a pas lieu de soumettre cette question [de l'exercice des droits des fonds confiés à Fortis holding]» à l'assemblée délibérante, dit-il.

12h30. Mischaël Modrikamen donne lecture du code de commerce. « Dès le moment où il y a contestation du périmètre des actionnaires, c'est à l'assemblée de vider le contentieux », interprète-t-il. Et d'haranguer l'assemblée : « tout le monde vous a trompé ». Hors micro, Pierre Nothomb consent au sujet de son allié : «  c'est extraordinaire ce qu'il fait ». La tension est à son comble. Pour ajouter à l'étrangeté de la scène, on entend monter de l'avant de la salle quelques notes d'une « Marseillaise » improvisée.

Suivent une série d'allocutions plus ou moins inspirées. « Vous manquez de ce qu'il faut là où il faut », lance un représentant de l'association de défense des actionnaires de Fortis. « Le peuple est debout, Monsieur... Nous sommes belges, pas français.... », lance le représentant de l'ADAF qui revendique 3400 actionnaires. « On nous demande vendre notre Fortis Banque pour des cacahouètes alors qu'elle vit très bien depuis 5 mois toute seule ».

13h10. Mischaël Modrikamen tente une nouvelle percée. « Ces messieurs sont en train de demander une ordonnance en référé contre leurs propres actionnaires. Je vous demande d'ajourner et d'aller ensemble en justice pour faire nommer un administrateur provisoire pour présider cette assemblée générale. C'est une manière de calmer les choses. Entre temps nous mettrons les deux plans à l'ordre du jour : le plan A et le plan B. Et si le oui devait l'emporter, au moins cela aura été dans le respect du droit des sociétés », dit-il. « Si vous voulez voter pour des fonds exotiques, dites le », défie-t-il. « Deuxièmement Jozef », lance-t-il au président, « vous avez dit clairement que vous étiez en faveur du stand alone : pourquoi ne pas le soumettre aux actionnaires ? Pourquoi se plier aux oukases de BNPP et du gouvernement belge ».

Jozef De Mey : « Nous respectons la loi. Notre position est très claire. Cela ne sert à rien de poursuivre la discussion. »

« SUSPENSION, SUSPENSION », scande la salle.

Mischaël Modrikamen : « L'Etat belge n'est pas juridiquement propriétaire de la banque », dont la nationalisation à l'automne 2008 est contestée devant les tribunaux. « La vente n'est pas parfaite », lance le juriste. Et d'ajouter : « c'est un combat pour la dignité et l'indépendance de la Belgique cédée à vil prix à des mains étrangères. J'invite l'assemblée à ne pas vous laisser continuer tant que vous n'aurez pas réglé le problème des droits de vote ».

Sur le podium, toujours bordé par une masse d'actionnaires, on s'impatiente. Karel de Boeck précise que les votes par procuration seront exercés « si nous avons des noms » face aux titres. « Nous avons reçu toutes les pièces qui s'imposent », ajoute-t-il, citant Axa au passage. « La démocratie c'est aussi écouter les autres », tente-t-il sous les huées. « Ce type est une catastrophe ; on l'a mis dehors par la porte et il est revenu par la fenêtre », me souffle, au sujet de De Boeck, un ancien candidat au conseil d'administration, pourtant partisan de l'opération BNPP.

13h45. L'AG dure depuis plus de trois heures. C'est l'impasse. Deminor redemande la parole. « Je vous laisse la parole, Pierre, mais pour 2 minutes, pas plus, hein ? », supplie Jozef De Mey. Pierre Nothomb propose alors que les actionnaires votent maintenant « à l'exception des droits de vote confiés à Fortis » pour lesquels le tribunal se prononcerait a posteriori. S'il le « oui » l'emporte aujourd'hui, c'est réglé, dit-il. Si le non l'emporte et que le tribunal estime que ces droits de vote pouvaient être exercé, on les ajoute au score du « oui », suggère Deminor.

Jozef De Mey suspend une nouvelle fois. Les débats reprendront 45 minutes plus tard mais la tension retombera progressivement au fil d'interventions plus ou moins inspirées. Un ancien cadre de la Société générale, l'ancêtre de Fortis, lance : « on peut s'attendre à un massacre social. BNPP n'a aucunes obligations ». « Y a-t-il un hypnotiseur dans l'équipe de BNPP ? Si ce n'est pas le cas, pourquoi avez-vous apposé votre signature au bas des conventions », s'interroge un autre. Les partisans du « oui » tenteront sans grand succès de défendre l'adossement à BNPP.

Il est 15 heures passées. Les interventions se succèdent suscitant de moins en moins de réactions sur le podium. Mischaël Modrikamen tente de maintenir la pression. « Monsieur le président, je suis particulièrement choqué que vous soyez retranché derrière une rangée de garde du corps avec des femmes en première ligne », lance-t-il en désignant l'étrange équipage en tailleur noir qui protège effectivement l'estrade.

Puis de reprendre sa démonstration sur la déclaration de transparence concernant les mandats des fonds confiés à la direction. « Alors que notre ministre des finances revient du G20 en dénonçant les sociétés offshore, il est piquant que ce soit elles que le gouvernement et BNPP appellent à la rescousse ». Et de citer, contre l'engagement qu'il avait pris, quelques noms d'actionnaires comme Goldman Sachs et Wesco.

« Si vous votez « non », dans un mois ou deux, il y aura un accord avec le gouvernement pour récupérer la banque », lance-t-il aux actionnaires.

16h00. Jozef De Mey, harcelé par un actionnaire à l'allure baba cool et  fin rhétoricien, s'emmêle pathétiquement les pinceaux et finit par concéder contre toute prudence que... « Fortis holding est actionnaire de la banque », alors que l'Etat en détient 99%. Le conseil d'administration, quoique dans une composition nouvelle, apparaît tel qu'il semble avoir été depuis le début des déboires de Fortis : totalement débordé.

16h25. Les actionnaires favorables au deal s'impatientent. Les autres, après 6 heures de débats, sont las. La tension est retombée. Jozef De Mey sent qu'il peut passer au vote sans susciter d'émeute. Mischaël Modrikamen fait une ultime tentative : « Je constate que vous allez passer en force et je le regrette. Je vous propose de faire deux votes. Un avec Fortis holding et un autre sans ». « Si vous refusez j'invite les actionnaires à ne pas voter et à quitter cette salle », dit-il. « C'est juridiquement contestable et techniquement impossible », répond Jozef De Mey. Le vote a lieu alors qu'un flot d'actionnaires repasse les portiques électroniques sans s'être prononcé.

Vers 16h30, la vente de Fortis Banque à BNPP est approuvée à 454 millions sur 560 voix exprimées.

F.A.

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