Quand Wall Street s'attaque aux entreprises françaises

A l'exemple de Veolia, de plus en plus d'entreprises françaises cotées à New York sont attaquées devant les tribunaux par des investisseurs tout simplement mécontents des performances boursières de leurs titres en portefeuille. Ces attaques peuvent prendre la forme de "class actions". Elles ne doivent pas impressionner outre mesure.
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Les dépréciations constatées en 2011 sur certains titres français cotés à New York sous la forme d'"american depositary receipts" pourraient entretenir l'inflation de contentieux boursiers aux États-Unis. Cependant, le risque de condamnation qu'encourt l'émetteur en cas de poursuites doit être analysé de près.

La logique de transparence qui constitue le fondement du droit boursier américain continue d'être distordue par les investisseurs malheureux qui portent leurs frustrations financières devant les tribunaux. Leur argumentation dans ces actions en justice se résume dans bien des cas à ce qu'une perte boursière découle nécessairement d'un manquement de l'émetteur à son obligation de transparence.

La clé de voûte de ces contentieux de droit boursier aux Etats-Unis est l'article "10b-5" de la loi de 1934 sur les transactions boursières, l'Exchange Act. La disposition sanctionne une société émettrice lorsqu'elle communique sur le marché des informations trompeuses, que ce soit par la publication de ses comptes, de communiqués relatifs à des événements importants (acquisitions ou litiges par exemple) ou toute autre forme de communication.

L'actionnaire qui agit en justice sur les bases de cette disposition du Exchange Act devra établir plusieurs éléments de fait et de droit, à commencer par l'existence de déclarations ou d'omissions trompeuses émanant de la société et dont l'émetteur connaissait le caractère trompeur. Il devra ensuite faire la preuve qu'il a acheté ou vendu ses titres sur le marché américain ou conservé ses titres sur base des déclarations trompeuses. Il devra également démontrer qu'il a subi une perte, qui, typiquement, prendra la forme d'une dévalorisation du titre. Enfin, il devra prouver que c'est bien la tromperie qui est la cause de sa perte.

Or, c'est ce dernier élément, la cause de la perte, qui est souvent le plus fallacieux dans les actions en justice de ces investisseurs, et ce, particulièrement dans les circonstances de crises boursières telles que celle de 2008 et celle que nous vivons depuis près d'un an. Est-ce une prétendue déclaration trompeuse qui a engendré la perte de valeur ou plus simplement une crise qui affecte la valorisation du titre coté ? Dans les faits, ces investisseurs intentent une action en justice contre l'émetteur alors même que la réponse à cette question leur est encore inconnue.

La stratégie de l'investisseur sera, en effet, souvent de faire état d'une longue liste de communications boursières émanant de l'émetteur, de les décrire comme trompeuses et de faire état des pertes subies sur le marché. Il s'agira ensuite pour son avocat, au stade de la procédure dite de "discovery" de forcer la société à verser à la procédure une montagne de documents internes dans laquelle il espérera trouver un élément ou un scénario déclenchant sa responsabilité sous "10b-5".

On comprend dès lors que la procédure de discovery incite les investisseurs à intenter des actions contre les émetteurs, même lorsqu'ils n'ont aucune preuve tangible des faits reprochés. La procédure permet également de comprendre que de telles actions d'investisseurs ne signifient en rien que la responsabilité de l'émetteur sous "10b-5" sera établie, ni même que l'un ou l'autre des éléments juridiques de cette responsabilité existe. La société disposera d'ailleurs dans sa défense de plusieurs options lui permettant d'arrêter le procès avant d'en arriver à la phase de discovery, notamment en s'attaquant à la constitution de la class regroupant les plaignants ou en prouvant que même si les faits allégués sont exacts, la responsabilité "10b-5" ne peut être établie (par exemple en raison de la protection dont peuvent bénéficier les communiqués sur les perspectives opérationnelles ou financières de la société).

Dès lors, à la nouvelle qu'un émetteur est poursuivi sur le fondement de l'article 10b-5 par des investisseurs américains, fussent-ils nombreux, il faut garder à l'esprit qu'une telle action ne révèle pas nécessairement une quelconque responsabilité sur ce fondement. C'est encore plus vrai lorsque l'on constate que ni le département de la Justice américain, ni la Securities and Exchange Commission n'engagent de procédure parallèle contre l'émetteur.

Parce que les émetteurs français dont les titres sont cotés sur un marché américain sont soumis aux impératifs de "10b-5", ils n'échappent néanmoins pas aux risques de poursuites aux Etats-Unis. Des grandes sociétés du CAC 40 et d'autres ont eu à subir de telles actions et, malheureusement, au vu de récentes baisses de cours générées par la crise de la dette en Europe, il faut s'attendre à ce que d'autres soient poursuivies dans les mois qui viennent. Dans ce cas, les actionnaires de la société poursuivie et les analystes qui couvrent son titre devront se pencher sur le sérieux de l'assignation avant d'en conclure l'existence d'un risque substantiel pour l'émetteur.

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Commentaires 4
à écrit le 24/01/2012 à 13:42
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Article interessant qui, a mon sens, met a jour un systeme de droit US tres pratique/favorable dans un contexte haussier (privileges donnes a l investisseur), mais terriblement complexe, voire redibitoire dans le contexte actuel, baissier, et ou l Eu...

à écrit le 24/01/2012 à 13:21
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Article interessant qui, a mon sens, met a jour un systeme de droit US tres pratique/favorable dans un contexte haussier (privileges donnes a l investisseur), mais terriblement complexe, voire redibitoire dans le contexte actuel, baissier, et ou l Eu...

à écrit le 24/01/2012 à 11:53
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Une société où on en vient à tout judiciariser est une société malade. La société américaine est une société gangrénée par le malaise social. L'Europe verse peu à peu là dedans, et c'est bien triste.

à écrit le 24/01/2012 à 6:40
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Maladie Anglo-saxonne, tout judiciariser pour pouvoir faire des procès et tenter de récupérer des millions de dollars. Faisant au passage le bonheur des avocats. Petit à petit, on y vient aussi en France. La vie économique et sociale devient de plus ...

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