A quoi serviront les fournisseurs d'énergie (qui survivront à 2022) ?

OPINION. La crise énergétique et l'envolée des prix en particulier de l'électricité et du gaz naturel en Europe ont mis sous pression les sociétés spécialisées dans la fourniture d'énergie qui se sont multipliées depuis la libéralisation de ce marché. Mais nombre de ces intermédiaires entre producteurs et consommateurs, fragilisés, pourraient disparaître avec la transition énergétique. Analyse. Par Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.
Si on veut une production d'électricité renouvelable pour accompagner les besoins, il faudra passer par le potentiel encore énorme des toits vierges de panneaux solaires. Une grande partie de notre salut passera encore et toujours par davantage de panneaux solaires, avec de bons incitants, des intéressements qui viennent dans la poche du propriétaire.
Si on veut une production d'électricité renouvelable pour accompagner les besoins, il faudra passer par le potentiel encore énorme des toits vierges de panneaux solaires. Une grande partie de notre salut passera encore et toujours par davantage de panneaux solaires, avec de bons incitants, des intéressements qui viennent dans la poche du propriétaire. (Crédits : Reuters)

Les fournisseurs d'énergie passent un mauvais moment et certains ne passeront pas l'hiver : ils sont en tenaille entre les marchés de gros où ils se fournissent en énergie et leurs clients : le grand écart entre les échéances des contrats de gros et ceux du détail les a transformés en intermédiaires financiers qui se prennent tous les risques. Cela n'aurait pas dû être leur métier. Hélas, comme pour les télécoms, tout ce qui comptait, au début, c'était les pertes de part de marché des opérateurs historiques. Cela a engendré un cercle vertueux de concurrence dans le premier cas, pas dans le secteur de l'énergie.

Arthur D. Little a proposé dans un point de vue récent différentes pistes pour que leur métier ne se réduise plus à cela.  S'ils survivent, que devront-ils faire ? Avec la transition énergétique et les défis de la crise énergétique, il y aura de quoi faire. Moins de gaz à effet de serre passera par une électrification de l'économie (pour autant que des sources vertueuses d'énergie soient utilisées).

On aura alors besoin d'acteurs capables de fournir et servir en masse ces nouveaux besoins. Ces intermédiaires que sont les fournisseurs établiront un pont entre les producteurs, qui ne peuvent faire des offres sur mesure à tout le monde et les consommateurs dont les profils de demande varieront fortement à force de tout électrifier. Si on veut une production d'électricité renouvelable pour accompagner ces besoins, il faudra passer par le potentiel encore énorme des toits vierges de panneaux solaires. Qu'on le veuille ou non, une grande partie de notre salut passera encore et toujours par davantage de panneaux solaires, avec de bons incitants, des intéressements qui viennent dans la poche du propriétaire. Ce ne sont pas les ristournes d'électricité que les autorités veulent proposer à tout riverain dans les 5 km d'une éolienne qui vont, comme par magie, faire exploser leur nombre. Les panneaux c'est possible car on a tous un toit !  Et il faudra des installateurs et des intégrateurs.

Couplé aux panneaux solaires, viendra le marché du stockage d'énergie qui transformera le consommateur en producteur aux moments opportuns de la charge du réseau, tout un art pour lequel le consommateur aura aussi besoin d'un intermédiaire, d'un expert. C'est le fournisseur d'énergie, encore lui. A coté du stockage, il faudra aussi équiper chaque foyer d'équipements intelligents capables de s'adapter aux fluctuations du réseau et de la production chez soi mais aussi lorsque trop d'énergie renouvelable est produite et qu'il faut la consommer. C'est la maison intelligente vraiment intelligente, qui sert à autre chose qu'à dire ce qui manque dans le frigo. Enfin, la gestion des flottes de véhicules électriques et des points de recharge chez soi, dans des communs ou sur la voirie demandera des acteurs spécialisés et des business models à créer. Le fournisseur d'énergie sera là, par exemple, pour garantir l'alimentation du point de recharge mais rien ne dit que c'est celui avec qui l'utilisateur du point de recharge veut faire affaire comme client.

Des modèles financiers adaptés

Tous ces services peuvent avoir le support de modèles de financement incitatifs.  Se rend-t-on compte, dit Arthur D. Little, qu'un client vertueux s'il veut des panneaux solaires, s'il veut un point de recharge pour sa voiture chez lui, s'il veut s'équiper en batterie pour stocker son énergie, s'il veut une pompe à chaleur, bref, s'il veut être exemplaire, doit tout sortir de sa poche en une fois. Il doit tout acheter et gérer tout par lui-même.  Même le leasing, si commun avec les voitures thermiques, qui verrait un opérateur spécialisé, par exemple le fournisseur d'énergie, être propriétaire des équipements, prendre en charge le coût d'achat, prendre en charge l'entretien, etc. est peu développé.

Avec les panneaux solaires et les batteries, on peut tendre vers de l'energy-as-a-service : le fournisseur d'énergie devient aussi opérateur. Le client ne fait que louer les services de production solaire ou de stockage d'énergie qui sera en pleine propriété du fournisseur d'énergie qui devient producteur et fournisseur d'équilibrage.

Enfin, dernier modèle, celui du partage du coût et des bénéfices : un client est prêt à faire l'investissement mais il peut compter sur ses voisins pour partager les coûts et les bénéfices, une manière de contrer l'argument que seuls les plus riches peuvent se permettre de contribuer et récolter les fruits de la transition énergétique, qui est subventionnée.

Le temps presse

Le temps presse car, dit Arthur D.Little, on est tout de même bien parti vers la création d'un oligopole avec quelques coopératives d'énergie favorisées par la régulation et des fournisseurs d'énergie qui ne sont que des émanations d'opérateurs historiques intégrés.

A court terme, les pronostics ne sont pas bons, dit Arthur D. Little : quand les prix de l'énergie se mettront à descendre, il faut s'attendre à des taux de churn qui dépassent l'entendement, tellement les clients seront à la recherche compulsive de diminution de leurs factures. Il y aura une guerre des prix. La réputation des fournisseurs d'énergie sera entachée de l'image des producteurs qui ont fait des surprofits. Les fournisseurs traditionnels feront face à des nouveaux entrants plus agiles sur le plan digital pour proposer tous ces nouveaux services ci-dessus. En plus, les fournisseurs d'énergie n'ont pas attendu la crise énergétique pour aller mal. La crise Covid-19 a eu un impact sur la demande qui a affecté les volumes de vente des fournisseurs d'énergies (et des prix très bas). Il y a eu aussi une surprotection des consommateurs, il y a eu plusieurs changements dans le design des marchés et puis est arrivée la guerre en Ukraine.

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Pour en savoir plus: How to rise a retailer phoenix out of the energy market crisis,  Arthur D. Little, Août 2022.

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Commentaires 6
à écrit le 19/08/2022 à 17:47
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Le parasitisme se construit généralement parmi les intermédiaires!

à écrit le 19/08/2022 à 11:14
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Ce ne sont pas des fournisseurs, mais des revendeurs. Vu la structure du réseau électrique européen, ces revendeurs sont des parasites qui augmente le prix de vente aux consommateurs sans bénéfices pour ceux-ci. Pire, cela contribue à la baisse de re...

à écrit le 19/08/2022 à 8:50
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41 fournisseurs d’énergie en 2022 , la soupe est bonne.

à écrit le 18/08/2022 à 15:17
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En matière d'énergie, pour vendre il faut produire. Les fournisseurs alternatifs d'énergie ne produisent rien, ni n'apportent aucune plus value en terme de service. Les panneaux solaires je les installerai moi-même lorsque je pourrai bénéficier des d...

à écrit le 18/08/2022 à 13:14
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Les panneaux, quand la toiture n'est pas bien orientée, ça peut ne pas être une si bonne idée (on a une montagne d'un côté et une autre de l'autre, ça guide les avions pour Chambéry (Voglans) mais ne rend pas le soleil utilisable très longtemps. Les ...

à écrit le 18/08/2022 à 12:55
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" Cela n'aurait pas dû être leur métier." : Comme la création de ces fournisseurs ne servait à rien, ils ne pouvaient avoir un métier défini

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