Big Data et Bioéthique : La réconciliation est-elle possible ?

Sous l'impulsion du Comité Consultatif National d'Éthique (CCNE), et conformément à la loi de bioéthique de 2011, les États Généraux de la bioéthique ont été lancés le jeudi 18 janvier 2018. Planifiés jusqu'au 7 juillet, ils ont pour ambition d'organiser une grande réflexion nationale autour de sujets sensibles tels que la Gestation Pour Autrui (GPA) la Procréation Médicalement Assistée (PMA) ou encore la fin de vie. Le but : éclairer les législateurs qui devront soumettre un projet de révision de la loi pour l'automne de cette année. Par Armel Tsoméné, Consultant mc2i Groupe
(Crédits : DR)

 Parallèlement aux débats sur ces sujets phares, une question transverse devra également être abordée : dans la nouvelle bioéthique qui se dessine, quelle sera la place de nos données personnelles de santé ?

Un écosystème complexe et dense autour de la donnée

Que ce soit en milieu hospitalier ou en médecine de ville, une importante masse de données personnelles de santé (âge, antécédents, prescriptions, traitements, résultats, ...) transite chaque année via les systèmes d'information de la Sécurité sociale et autres assurances maladies. La pleine exploitation de ces données représente aujourd'hui un véritable défi pour les acteurs de la santé ; en cause, une faible harmonisation des systèmes d'information hospitaliers, ainsi qu'une trop rare interopérabilité entre médecine de ville et hospitalière.

L'avènement des objets connectés vient aujourd'hui complexifier ce tableau : nombre de pas, bilan calorique, glycémie ou encore tension sont autant d'exemples de données relatives à notre état de santé qui peuvent être collectées et suivies en permanence directement par un utilisateur. En théories soumises aux mêmes exigences que leurs homologues créées par les professionnels de santé (i.e. hébergement exclusif au sein d'hébergeurs agréés par l'ASIP Santé, chiffrage et anonymisation), la vulnérabilité inhérente aux objets connectés, ainsi que la difficulté de contrôler le bon respect de la réglementation pour l'ensemble des applications les collectant impacte fortement l'assurance sur la bonne protection de ces données [1].

Médecine predictive : enjeux de demain, risques d'aujourd'hui

La recherche de mise en cohérence de ce Big Data n'est nullement un nouveau sujet : en témoigne la tentative de mise en place du DMP (Dossier Médical Personnel) en 2004, soldée par un échec, ou bien l'ouverture récente de la plateforme SNDS (Système national de stockage des Données de Santé). Au-delà de l'amélioration certaine de l'efficacité de prise en charge du patient, ainsi que de la qualité des soins qui lui sont prodigués, le croisement de ces données pourrait non seulement faire avancer la recherche médicale, mais aussi et surtout être le catalyseur de la médecine prédictive en France.

Développer de nouvelles molécules en ayant une meilleure connaissance des effets secondaires de traitements spécifiques sur une population donnée, être en mesure sur la base de croisements de données statistiques de prédire l'apparition de maladies chroniques chez un enfant avant même sa conception... tels sont des exemples d'enjeux de la médecine prédictive. Sans réel Big Data de Santé, i.e. sans réelle mise en corrélation de la masse de données de santé, il est impossible de concevoir une médecine prédictive efficace. Les questions d'éthiques soulevées par cette discipline nouvelle ne sont pas simples : le CCNE est en effet sensible aux questions de potentiel eugénisme qu'elle pourrait soulever, ainsi que d'utilisation à but commercial ou marketing des données de santé collectées par les laboratoires. Ces risques, bien réels, ne découragent cependant pas l'opinion publique[2] : en 2018, ce sont en effet 83% des français qui accepteraient, sous certaines conditions, l'ouverture de leurs données médicales à des tiers.

Concilier ouverture et maîtrise de l'information nécessite cependant une évolution des règlementations et techniques actuelles. Briser les fonctionnements en silos de nos SI, accroître la cohérence entre médecine de ville et hospitalière, garantir le respect de la vie privée de nos concitoyens sont autant de sujets indispensables à la conciliation entre Big Data et bioéthique. Les lignes bougent d'ailleurs d'ores et déjà dans ce sens en France et à l'international : le précédent historique du National Health Service[3] (le système de santé public britannique) sur l'ouverture des données de santé au cloud publique, la mise en œuvre de SI convergents dans le cadre des GHT, et la prise en compte des spécificités des données de santé dans le RGPD envoient des signaux positifs sur ces sujets. La suite, elle, se dessinera à partir du 7 Juillet.

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[1] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/01/30/l-armee-francaise-met-ses-troupes-en-garde-contre-l-application-de-jogging-strava_5249157_4408996.html

[2] https://www.lesechos.fr/economie-france/social/030882711353-sante-les-francais-prets-a-partager-leurs-donnees-2130720.php

[3] https://www.datacenterdynamics.com/content-tracks/colo-cloud/nhs-guidelines-authorize-use-of-public-cloud-to-store-patient-data/99666.fullarticle

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Commentaire 1
à écrit le 05/04/2018 à 22:29
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L’éthique est de «  respecter » les données de santé d’autrui ( secret médical) Ça va être «  difficile «  de contourner cette règle.( même pour BD ou bioéthique...) Les données ( statistiques)doivent être utiles pour faire progresser tout le « mond...

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