Bitcoin, fintech, intelligence artificielle ne font pas peur au FMI

C'est un discours étonnant qu'a livré la patronne de FMI, Catherine Lagarde, à l'occasion d'une conférence à la banque d'Angleterre ; en fait, un plaidoyer raisonné pour les cryptomonnaies, l'intelligence artificielle dans les banques et plus de désintermédiation dans la finance. Ce discours intervient au moment où Goldmann Sachs annonce l'ouverture d'un desk de trading pour les bitcoins (en prenant le contrepied de JP Morgan qui n'y voit qu'une escroquerie) et à quelques semaines du lancement d'Orange Bank (qui fera largement appel à l'intelligence artificielle). Comment le FMI, héritier d'un certain establishment peut-il être aussi serein ? Par Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université Libre de Bruxelles et Jean-Jacques Quisquater, Ecole Polytechnique de Louvain, Université de Louvain, Visiting Scientist, MIT.

À y regarder de plus près, ce plaidoyer prend la forme d'une projection dans le futur : ces disruptions ont du bon, explique le FMI. Aujourd'hui, les monnaies virtuelles ne sont pas un danger pour les banques centrales : leurs cours sont trop volatils, elles sont énergivores (lors du minage, pour faire fonctionner le réseau d'ordinateurs qui les gère) et le nombre de bitcoins est limité en volume par décision de son inventeur. Quant aux concurrents du bitcoin, ils sont trop opaques et des actes de piraterie ont défrayé la chronique.

Une monnaie pour les pays faibles

Pourtant, le FMI y voit des avantages : il pense aux pays avec des institutions faibles incapables de gérer une monnaie nationale propre. Plutôt que d'adopter le dollar ou de s'y lier avec les dégâts que l'on sait, les monnaies virtuelles, une fois stabilisées et dans le rang, ne peuvent-elles pas prendre le relais ? Les monnaies virtuelles n'ont pas besoin d'institution, de banque centrale : qu'est-ce qui empêche un pays de créer sa monnaie virtuelle ? Il suffit de l'affranchir du procédé de minage qui la crée pour n'être qu'une monnaie qui n'a pas besoin de banque centrale, qui s'utilise par Internet interposé  (comme les paiements mobiles) et qui est cotée par rapport à un panier. Un algorithme connu de tous, transparent, crédible et prévisible qui les crée aurait les mêmes vertus qu'une banque centrale qui prend 1.000 précautions de même transparence pour annoncer sa politique monétaire.

Et de prendre l'exemple des paiements électroniques. Aujourd'hui, effectuer des paiements pour de petites sommes reste coûteux, que ce soit par carte de crédit ou avec d'autres formes de monnaies électroniques (à ne pas confondre avec les monnaies virtuelles) : trop d'intermédiaires sont  en jeu. Rien ne remplace le cash sauf que payer des petits services à l'autre coin de la planète n'est pas possible en cash. Finalement, le bitcoin a les mêmes vertus que ce cash: pas de compensation, pas de délais de paiement, pas d'enregistrement central, pas d'intermédiaire qui vérifie que le compte est fourni ou l'identité de son titulaire. Et si c'était ça la vertu du bitcoin : du cash dématérialisé ? Aujourd'hui, c'est parce que les bitcoins sont générés dans des circuits privés qu'ils sont risqués et instables. Et pourquoi les banques centrales ne prendraient pas un rôle dans ce circuit ?

Les fintech à l'honneur

On le sait : avec les fintech, avec le crowdfunding, il existe quantité de voies parallèles pour se financer : c'est la raison d'être même des banques qui est en jeu. Qui sait si demain, on ne laissera plus que le minimum sur ses comptes en banque pour mettre la majeure partie de son épargne dans des circuits parallèles, dans des fonds, dans des plateformes de prêt peer-to-peer, avec du big data et de l'intelligence artificielle pour vérifier la solvabilité (ce que font déjà en partie les banques pour dégrossir les demandes de crédit) ?

On entre dans un monde, explique Christine Lagarde, où le développement d'un produit ne prendra plus que six mois (ce ne sera plus qu'une question de logiciel à mettre à jour) avec comme objectifs uniques : la sécurité et la facilité d'utilisation. Mais alors c'est le fondement même de la banque qui prête (parce qu'elle a des dépôts) qui est remis en question. L'économie risque de ne plus être irriguée : il suffit d'élargir les contreparties des banques centrales par lesquelles elle irrigue l'économie.

Ce ne seront plus seulement les banques traditionnelles, mais une quantité de nouveaux acteurs pour lesquelles de nouvelles règles devront être  écrites. Oui, de ce fait, le pouvoir des banques centrales augmentera avec cette croissance d'acteurs à réguler. Il faudra encore plus de transparence,  d'indépendance, plus de responsabilité sociétale et se soumettre à plus de surveillance. Les banques centrales devront mieux coopérer entre elles entre le contrôle d'une  banque locale jusqu'à la transaction internationale chiffrée avec des méthodes quantiques. Oui, le FMI reste un acteur clé pour préparer  changement.

Le banquier central restera-t-il de chair et d'os ?

Alors reste-t-il un rôle pour des humains dans  les banques centrales ? Oui : une bonne politique monétaire s'annonce et se communique longtemps à l'avance pour préparer les marchés. Si l'intelligence artificielle est aux commandes des banques centrales  pour définir la meilleure politique monétaire basée sur du big data, est- ce cette même intelligence artificielle qui pourra finement parler aux marchés lorsqu'il s'agit de les préparer. Et au fond, dans quelle langue ? Il faudra toujours un être humain pour endosser, pour porter la responsabilité finale et avoir le pouvoir de rectifier le tir...

On le voit déjà dans les crash de bitcoin ou de blockchain : personne n'est là pour corriger / compenser / indemniser... On recommence simplement le blockchain, mais les dégâts restent. Le FMI se positionne clairement  comme l'organe de dernier ressort qui manque dans ces révolutions à venir.

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Pour en savoir plus : Central Banking and Fintech—A Brave New World? By Christine Lagarde, IMF Managing Director, Bank of England conference, London, Sept 29.2017 (https://www.imf.org/en/News/Articles/2017/09/28/sp092917-central-banking-and-fintech-a-brave-new-world)

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Commentaires 2
à écrit le 19/10/2017 à 16:17
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La patronne du FMI ne s'appelle par Catherine mais CHRISTINE Lagarde. Mais bon, on n'en est plus à une coquille ou approximation près de La Tribune, ça frôle parfois l'amateurisme...

à écrit le 17/10/2017 à 10:15
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Goldmans Sachs adopte le bitcoin, tout est dit. Je pense que ça fait longtemps que les anarchistes ne comptent plus sur cette monnaie pour réinsérer un minimum de liberté dans la société marchande. LE capitalisme l'a complètement avalé.

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