Déclassement français : traiter le mal à la racine

NE NOUS FÂCHONS PAS ! Afin d'éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l'Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livre les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s'appuyant sur des cas pratiques et sur l'actualité. Aujourd'hui : déclassement français, traiter le mal à la racine.

Si la France sait lancer des grands projets techniques, elle éprouve des difficultés à les déployer. La racine du mal se situe dans le processus de décision, tant au sein de l'État que dans les entreprises.

Mille ans de pouvoir centralisé : la fusion organisationnelle a produit la confusion intellectuelle

 Voilà plus de mille ans que la France est centrée sur la personne de son chef, le roi. En réussissant à faire croire en leur incarnation divine, les capétiens ont gagné leur grande partie d'échec contre l'église. Avec la fusion opérationnelle des pouvoirs temporels et spirituels, cette mainmise sur tous les leviers d'autorité a fait germer une culture particulière à la France : l'acceptation et même la recherche d'un chef suprême qui assume tout. Voilà pourquoi le Chef de l'État français est à la fois maître de l'exécutif, du législatif et du judiciaire. Voilà pourquoi dans l'entreprise française, le dirigeant est le plus souvent à la fois Président et Directeur Général.

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Or, conjuguer le souhaitable et le possible, l'idéal et la réalité, les valeurs et les faits relève du surhumain (relire Nietzsche). C'est un défi en toutes circonstances : il faut se résoudre à accepter l'imprécision et l'imperfection. D'où la nécessité de dissocier les deux pouvoirs pour ne jamais arrêter la dialectique entre ce qu'il faudrait faire dans l'absolu et ce que l'on décide en pratique.

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Car sinon, un même décideur doit défendre seul ses décisions, dont aucune ne prend tout à fait en compte les deux dimensions. Aussi, même si ses arbitrages sont optimaux (mais encore faut-il croire en la possibilité d'incarner le divin...), sa légitimité s'affaisse pour deux raisons : ne pas assumer toute la vision lui fait perdre son autorité morale ; ne pas assumer toutes les contingences révèle les limites de sa capacité de gestion.

La confusion intellectuelle entraîne les erreurs et le rejet à tous les étages

 Lorsqu'il s'agit de faire accepter ses arbitrages par une multitude d'acteurs, porteurs de visions diverses et d'intérêts particuliers différents, l'exercice devient impossible sur la durée. Pire : plaider pour ses propres décisions revient à les présenter comme les meilleures possibles... et donc à clore le débat une fois pour toutes, alors même qu'il devrait toujours se poursuivre pour chercher encore et encore à faire mieux. Cette prise en charge de la complexité par une seule et même personne entraîne donc un double phénomène : les décisions sont de moindre pertinence et leur appropriation par les publics concernés est moindre... quand elles ne sont pas rejetées en bloc par de sourdes oreilles, même si elles contribueraient à satisfaire leurs intérêts. D'où une dérive prévisible des performances et de la concorde sociale.

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La racine du mal français : tout attendre du chef

Dans la société, comment peut-on s'en remettre à un seul acteur pour qu'il résorbe le déficit public, qu'il rembourse la dette, qu'il crée le plein emploi, qu'il réussisse la transition énergétique, qu'il fasse cesser les émissions de carbone dans l'atmosphère, qu'il crée le bien-être économique, social et technologique... ???

Dans l'entreprise, comment attendre d'un dirigeant qu'il repense seul, à volonté, l'assemblage stratégique des intérêts divergents des actionnaires, des salariés, des clients, des citoyens, de la planète... ???

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Confier l'ensemble des responsabilités à une seule personne n'est pas raisonnable. Or, c'est le modèle français ! Voilà pourquoi la France est en cours de déclassement en de nombreux domaines (1) (emploi, dette publique, exportations, brevets, éducation...). Voilà pourquoi les entreprises françaises ont du mal à se développer (5.000 ETI (2) en France contre 13.000 en Allemagne, 10.000 au Royaume-Uni ou en Italie). Voilà pourquoi la France sait lancer de grands projets techniques (Concorde, Bull, Minitel, Be-bop, Areva...), mais éprouve des difficultés à les déployer.

La France souffre de sa méfiance culturelle pour tous ceux qui n'ont pas l'onction du chef suprême. Tout le monde pâtit d'un manque de légitimité a priori : des citoyens jusqu'aux parlementaires, en passant par les élus locaux dans la sphère politique ; des clients jusqu'aux actionnaires en passant par les commerciaux dans le monde économique.

Traiter le mal français à la racine : LA réforme

Les Français ne parviendront à sortir la France de cette trappe qu'en cessant de verser dans leur travers national de l'attente du sauveur, grand manitou indispensable. Il leur faut se rendre à l'évidence et admettre qu'aucune personne ne saurait détenir seule toutes les solutions. Ce n'est donc pas un changement de dirigeant qui fera advenir une société meilleure, mais un changement de système.

 Pour cela, pas besoin de révolution institutionnelle et encore moins d'insurrection populaire. La transformation est possible dans le cadre organisationnel actuel.

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Dans la société, il s'agit de placer le citoyen au centre en impliquant tous les acteurs (élus, fonctionnaires, électeurs, écoliers...) dans une même dynamique de recherche de l'intérêt général. Aussi, il convient d'ajouter à notre démocratie actuelle une démarche participative et de la déployer en continu sur chaque grand enjeu (3).

Dans l'entreprise, la clé consiste à placer le client au centre en impliquant tous les salariés (commerciaux, ingénieurs, marketing, administratifs, finances, production, logistique...) et tous les acteurs de la filière dans une démarche de recherche de l'intérêt à long terme des bénéficiaires ultimes de l'action de l'entreprise.

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Tourner la clé dans la cité et dans votre entreprise

Au moment de voter pour les présidentielles puis pour les législatives, ne nous trompons pas : ce n'est pas le programme ou les promesses des candidats qu'il faut choisir, mais plutôt celui ou celle qui propose une nouvelle démarche démocratique, éprouvée et efficiente. Pour l'instant, certes, c'est dur, dur... !

Sur le plan professionnel, au sein de votre organisation, quelles que soient vos fonctions, vous pouvez contribuer à mettre en œuvre une dynamique de recherche participative ouverte et maîtrisée par des managers capables d'organiser un dialogue responsable et constructif. Idem dans votre territoire quel que soit votre mandat.

C'est l'émergence de nouveaux mécanismes de réflexion collective à tous les niveaux qui les rendra légitimes puis indispensables au sommet des pyramides hiérarchiques des sphères économiques, sociales et politiques.

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(1) Voir L'état social de l'Europe, L'état social du Monde, rapports parus à la Documentation française.
(2) ETI : Entreprises de Taille Intermédiaire.
(3) Voir l'ensemble des chroniques Ne nous fâchons pas ! et des rapports L'état social de la France, L'état social de l'Europe, L'état social du Monde parus à la documentation française.

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NOTES

(*) Afin d'éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l'Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livrera les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s'appuyant sur des cas pratiques et sur l'actualité.

L'Odissée, l'Organisation du Dialogue et de l'Intelligence Sociale dans la Société Et l'Entreprise, est un organisme bicéphale composé d'un centre de conseil et recherche (l'Odis) et d'une ONG reconnue d'Intérêt général (les Amis de l'Odissée) dont l'objet consiste à "Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde".

Depuis 1990, l'Odissée conduit l'étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l'Entreprise, la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l'a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d'auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l'intérieur des entreprises.

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Commentaires 4
à écrit le 27/02/2022 à 9:49
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Déclassement réel amalgamé par les margoulins politiciens en "grand remplacement" fantasmé et stupide de la part des boomers. La vache c'est radio zemmour ou quoi ici ? Vous pensez qu'un pétainiste peut nous sauver sans rire ? On est tombé encore plu...

le 07/03/2022 à 16:26
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Pour notre positionnement dans les classements : consultez tous les classements internationaux, y compris ceux que nous reprenons dans les rapports "L'état social de la France, de l'Europe, du Monde". Vous constaterez par vous-même où en est la Franc...

à écrit le 25/02/2022 à 15:35
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Tout ce qui est dit, c'est que "les moyens ne sont pas au niveau du but" a atteindre, cela sans se prononcer sur la finalité et l'utilité !

le 07/03/2022 à 16:19
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Le but est défini par lé méthode : c'est en marchant que l'on avance, que l'on s'élève pour embrasser le paysage, se positionner et décider où l'on veut aller. Augmenter la démocratie est à la fois le but et la méthode.

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