Énergie  : une loi qui doit encore faire ses preuves

OPINION. La récente loi de la Commission européenne plafonnant les prix de certaines transactions de marché va dans le bon sens, mais s'il n'est pas encore certain qu'elle parvienne à alléger les factures d'électricité des consommateurs. Par Valérie Besson, Associée, Responsable Énergies et Ressources naturelles pour la région EMEA chez KPMG et Alain Pasqualini, Manager, Énergies et Ressources naturelles chez KPMG France.
(Crédits : DR)

Le conflit en Ukraine a provoqué une flambée des prix de l'énergie, en grande partie responsables de l'inflation en Europe (9,8% sur 12 mois glissants en juillet dernier). Et des perturbations importantes de l'approvisionnement énergétique, notamment à cause de l'accident du gazoduc Nord Stream 1. La Commission européenne et de nombreux pays européens ne sont pas restés inactifs pour autant, en mettant en place des aides financières à destination des ménages et des entreprises pour atténuer les effets de la hausse des prix de l'énergie, à l'instar du « bouclier tarifaire énergie ».

Le 30 septembre, l'UE est montée d'un cran avec une loi plafonnant à 180 euros/MWh les prix de certaines transactions de marché. Mais comment appliquer cette loi et quel effet aura-t-elle sur les factures des consommateurs ?

Une loi qui cible le gaz naturel

Deux catégories de moyens de production d'électricité sont définies par la loi : les moyens « inframarginaux », qui regroupent les renouvelables, le nucléaire, le charbon et autres énergies fossiles plus rares (tourbe et produits pétroliers), et les moyens « marginaux », principalement le gaz naturel et l'hydroélectrique de stockage. Si le prix de revient des premiers sont bien inférieurs à 180 euros/MWh et au coût de production du gaz naturel, le prix de vente de l'électricité est le même quels que soient les moyens de production.

La loi cible donc les moyens inframarginaux, qui profitent de cette situation. Toutes les transactions de marché impliquant ces moyens seront concernées : celles s'appuyant sur les plateformes de trading organisées (l'équivalent des places boursières pour l'électricité : EEX, Nordpool, etc.), mais aussi les transactions de gré-à-gré (les PPA et autres accords discrétionnaires). Les transactions via des mécanismes autres que le marché libre ne sont pas concernées : tarifs de rachats par un État, mécanismes d'équilibrage, services systèmes, etc.

Le texte ne prévoit pas de plafonner le prix des transactions du marché électrique, mais plutôt de prélever les revenus des transactions au-delà de 180 euros/MWh. Concrètement, si par exemple un producteur d'électricité éolienne vend un MWh à 220 euros/MWh, l'État membre où la transaction a lieu lui demandera de lui verser 40 euros (la différence entre 180 et 220 euros). Le texte indique cependant que le producteur pourrait conserver les revenus additionnels au-delà de 180 euros/MWh si l'installation fait moins d'un MW et que l'État membre prend une décision en ce sens. Un alinéa qui concerne surtout l'énergie solaire, la seule ayant des tailles d'installation modestes.

Redistribuer les fonds aux consommateurs pour réduire leur facture

Quels bénéfices les consommateurs, particuliers ou entreprises, peuvent-ils espérer de la loi de l'UE ? Car même si le vendeur se voit appliquer une taxe, comme dans l'exemple ci-dessus, l'État ne fait que prélever une partie du prix de vente. Si ces fonds ne sont pas redistribués aux consommateurs, leur facture ne s'en retrouvera pas réduite.

L'UE prévoit de donner cette possibilité de redistribution aux État membres, et Bruno Le Maire a d'ailleurs déclaré qu'il espère ainsi collecter 5 à 7 milliards d'euros pour « financer les entreprises et collectivités confrontées à la flambée des prix de l'énergie ». On peut aussi imaginer que de nombreux producteurs inframarginaux limiteront d'eux-mêmes leur prix de vente, puisque tout prix supérieur au plafond ne se traduira pas par des profits supplémentaires. Dans la mesure où 77 % de la production d'électricité de l'UE provient de moyens inframarginaux (en 2020, source : Eurostat), la loi concerne donc la majorité des volumes et pourrait avoir l'impact désiré sur la facture des consommateurs d'électricité.

La délicate équation de la traçabilité des MWh

Il existe cependant un frein majeur à l'application de cette mesure : la traçabilité des MWh, pour relier les transactions à des moyens de production, et donc définir si le plafond s'applique ou non. Le marché de l'électricité, ses lois, ses processus, ont en effet été fondés sur le principe que chaque MWh est fongible, c'est-à-dire identique et interchangeable avec un autre. Les mécanismes complexes de garantie d'origine et certificats verts ont justement été créés pour réintroduire de la traçabilité. On peut imaginer la difficulté à créer des mécanismes similaires pour les autres moyens inframarginaux... et se demander si les Etats ne vont pas privilégier la traçabilité des moyens marginaux uniquement, afin de réduire drastiquement la quantité de MWh à identifier.

Si l'application de la loi était imminente, les acteurs de marchés commenceraient à s'aligner sur le plafond de prix. Or les contrats d'électricité pour livraison 2023 se négocient toujours à des plus hauts historiques (535 euros/MWh en France, 390 euros/MWh en Allemagne). L'approche de la loi européenne est donc intéressante, mais n'a pas encore fait ses preuves. D'ailleurs, les entreprises prenant leurs propres mesures pour maitriser leur facture d'électricité, notamment via des PPA (Power Purchase Agreement), sont de plus en plus nombreuses. Le texte ayant été inscrit au journal officiel de l'UE début d'octobre Les États membres devront l'appliquer au plan national au plus tôt, et pas plus tard qu'au 1er décembre 2022 - Bruno Le Maire a d'ailleurs pris en compte cette mesure dans le budget 2023. On pourra donc vite juger de sa véritable efficacité.

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