Entreprises et biodiversité  : l'urgence d'une relation à réinventer

OPINION. La biodiversité s'éteint à un rythme sans précédent : les populations d'espèces sauvages ont diminué de 69% au cours des 50 dernières années et aujourd'hui 1 million d'espèces sont menacées d'extinction. Par Auriane Clostre, Chief Impact Officer de Stim
(Crédits : DR)

 L'alerte semblait avoir été prise en compte quand en décembre dernier, lors de la COP15 sur la biodiversité à Montréal : 188 gouvernements ont signé un accord visant à protéger la biodiversité d'ici 2030. En mars 2023, le traité de l'ONU sur la haute mer est devenu la première loi internationale à promettre une protection à près des deux tiers de l'océan au-delà du contrôle national.

Pourtant, malgré une mobilisation croissante, les réglementations et solutions concrètes peinent à se développer et l'inaction semble être la stratégie dominante des entreprises. Selon une étude du Boston Consulting Group (2021), parmi les entreprises du CAC 40, "seulement 5% considèrent que la perte de biodiversité a un « impact élevé » pour les actionnaires".

Perte de biodiversité : pourquoi une telle inaction des entreprises ?

À l'évidence désastreuse pour la vie humaine sur Terre, l'extinction de la biodiversité le sera aussi pour l'économie.

En 2020, le Forum économique mondial a confirmé notre dépendance à l'égard de la biodiversité. Son rapport classe « la perte de biodiversité et l'effondrement des écosystèmes parmi les cinq principaux risques en termes de probabilité et d'impact » pour l'économie et les entreprises dans les dix années à venir.
Or si les entreprises travaillent aujourd'hui autour des questions liées au carbone, elles semblent se sentir très peu concernées par la biodiversité. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette inaction.

Avant tout, la biodiversité est une question hypercomplexe  englobant : écosystèmes, espèces, patrimoine génétique et cycles naturels avec de multiples interactions entre toutes ces entités. Cette complexité rend très difficile l'établissement d'une mesure simple du Vivant.  Contrairement à la crise climatique, il est impossible d'avoir un indicateur commun : la tonne de CO2 équivalent et un objectif mondial unique tel que 1,5°C, facile à retenir, marteler et mettre en place.

Ensuite la valorisation économique de la biodiversité est encore en débat : comment donner de la valeur à des services écosystémiques jusque-là considérés comme gratuits quand nous n'avions pas à nous en soucier ? La monétarisation du vivant pose également des questions éthiques et vient heurter des sensibilités culturelles divergentes. Cette complexité inhérente rend difficile pour les entreprises de se saisir du sujet et de définir des objectifs significatifs.

Changer le narratif : nous dépendons tous de la biodiversité

Au total, 50% du PIB mondial dépend d'une biodiversité en bonne santé, ce pourcentage augmente pour les économies moins tertiarisées des pays d'Afrique et d'Asie. En décembre, lors de la COP 15 de Montréal, les États signataires ont promis un effort de 200 milliards de dollars par an pour protéger la biodiversité  : cette somme considérable reste pourtant bien moins élevée que le coût de l'inaction, estimé à 2 700 milliards de dollars par an, selon les prévisions les plus prudentes de la Banque mondiale.

Pourtant, la relation des entreprises à la biodiversité ne reflète pas cette réalité. On peut identifier 3 manières dont les entreprises se positionnent face à la biodiversité aujourd'hui :

  • La biodiversité est à l'origine des ressources nécessaires  à l'activité économique : c'est le cas de beaucoup d'entreprises (pêche, agriculture, pharmacie, cosmétique, mode et habillement, exploitation forestière etc.)
  • La biodiversité concurrence l'activité économique : on peut prendre l'exemple du secteur de la construction ou des mines, où la protection de la biodiversité freinent l'activité et l'expansion.
  • La biodiversité est sans lien avec l'activité : c'est une croyance que l'on peut par exemple observer dans le secteur tertiaire (IT, conseils...). Exploitation, compétition, absence de relation, aucune catégorie d'entreprise n'est économiquement intéressée à la préservation de la biodiversité.

Ce récit doit changer. Car derrière les pourcentages de PIB et les milliards estimés, nous oublions une réalité implacable : les secteurs de l'économie les plus concernés par l'extinction de la biodiversité comprennent les secteurs répondant aux besoins vitaux de l'humanité : agroalimentaire, santé, gestion de l'eau... La biodiversité est à l'origine de la production de notre nourriture, du bon fonctionnement des sols, de la production d'oxygène, de la capture du carbone, de la qualité de l'air, de l'eau... La biodiversité est vitale. 50% du PIB est certes concerné, mais c'est surtout 100% de l'humanité qui est menacée par cette extinction. Nous dépendons tous d'une biodiversité en bonne santé, nous sommes tous concernés.

Agir pour la biodiversité : mode d'emploi pour les entreprises

Pour réfléchir concrètement à des actions de lutte contre la perte de biodiversité, trois niveaux d'actions sont envisageables.

Le premier niveau d'action est celui de la mesure (analyse d'image, analyse génétique, mesure du bruits...) et de l'amélioration de l'empreinte biodiversité de l'entreprise. L'entreprise identifie et estime ses impacts et pressions sur la biodiversité et prend des mesures de réduction des dommages causés sur son périmètre.
Le deuxième niveau d'action dépasse le périmètre d'origine de l'entreprise qui s'engage alors dans des projets de restauration ou de réensauvagement suivis scientifiquement (action de mécénat, crédit ou tokens biodiversité...).

Le dernier niveau d'action nécessite de reconcevoir et réinventer toute ou partie des activités de l'entreprise. C'est le niveau d'action le plus engagé, qui nécessite de repenser le modèle de l'entreprise pour concilier viabilité économique et protection de la biodiversité à long terme.   Pour prendre l'exemple connu de l'agriculture, si on maintient une agriculture intensive, le secteur agricole court à sa perte car il épuise les ressources qui le rendent pérenne. Le secteur a besoin d'adopter un modèle régénératif plus résilient préservant la santé des sols et la biodiversité.
Enfin les entreprises peuvent aussi revoir leur modèle de distribution en considérant la biodiversité et le bien-être environnemental comme leurs actionnaires. C'est par exemple ce qu'a mis en place Yves Chouinard, le fondateur de Patagonia, en donnant 3 milliards d'actifs à la Terre et en reversant 100 millions de dollars de bénéfices annuels à la lutte contre la crise climatique et l'extinction.

L'extinction de la biodiversité nécessite une mobilisation de tous les acteurs de la société dont les entreprises. Si la tâche paraît ardue, elle est indispensable. En évaluant son empreinte biodiversité, en participant à la restauration des écosystèmes et en réinventant des modèles d'entreprise prenant en compte le Vivant, les entreprises sont capables de participer à la lutte contre la perte de la biodiversité. Si le Vivant auquel l'humanité appartient  leur en sera reconnaissant, leur business aussi.

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Commentaire 1
à écrit le 28/07/2023 à 8:10
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Bah vous tracassez pas, la police va bientôt prendre le contrôle direct de notre pays et je peux vous garantir que la transition écologique deviendra le cadet de nos soucis on pensera d'abord et avant tout à sauver notre peau.

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