Etre ou ne pas être une compagnie low-cost long courrier ?

Le lancement de Joon et la montée en puissance de Level semblent marquer une nouvelle étape dans le développement des compagnies low-cost long courrier. Mais les caractéristiques du modèle restent à définir et certaines compagnies refusent d'être catégorisées comme telles. Comment caractériser et identifier les compagnies low-cost long courrier dans le paysage concurrentiel aérien ? Par Paul Chiambaretto, professeur de marketing et stratégie à Montpellier Business School et chercheur associé à l'Ecole Polytechnique.
Paul Chiambaretto est professeur de marketing et stratégie à Montpellier Business School et chercheur associé à l'Ecole Polytechnique. Spécialiste du transport aérien, il intervient aussi dans d'autres institutions comme l'ENS Cachan, l'ENAC, l'ISAE-Supaero et l'Ecole Centrale de Lyon.

Avec le lancement de l'activité moyen-courrier de Joon et l'annonce par Level de vols transatlantiques au départ de Paris en 2018, le mois de décembre aura été particulièrement riche pour le transport aérien français. Si de plus en plus de compagnies aériennes européennes ont opté pour la création d'une filiale low-cost long courrier (Level pour British Airways, Eurowings pour Lufthansa, etc.), Air France revendique le caractère unique de Joon : une nouvelle filiale avec des coûts d'exploitation plus faibles mais qui se distingue surtout par son positionnement tourné vers les jeunes (les millennials) et l'innovation. Pour autant, Air France refuse de catégoriser Joon comme du low-cost long courrier. Si Joon n'est pas une filiale low-cost long courrier alors qu'est-elle ? Plus globalement, cette nouvelle compagnie pose la question de la multiplicité des business models émergents sur le marché du long courrier. Faut-il sortir de cette description binaire des acteurs opposants des compagnies traditionnelles à des opérateurs low-cost ? Comment faudrait-il définir ces différentes catégories ?C'est à l'ensemble de ces questions que trois chercheurs allemands (Christian Soyk, Jürgen Ringbeck et Stefan Spinler) de l'WHU - Otto Beisheim School of Management essayent de répondre. Les conclusions de leurs recherches sont synthétisées dans un article de recherche intitulé « Long-haul low cost airlines : Characteristics of the business model and sustainability of its cost advantages » publié en 2017 dans Transportation Research Part A.

L'absence de véritable consensus sur les low-cost long courrier

Faisant écho au fort développement des compagnies à bas coûts sur le long courrier (que ce soit en Asie ou sur l'axe transatlantique), de plus en plus de chercheurs se sont penchés sur ces nouvelles compagnies afin d'essayer de les définir. Parmi la dizaine de travaux consacrés à ce sujet, quelques points font l'unanimité : la longueur moyenne des trajets (supérieure à 4000 km) ; une concentration sur la clientèle dite « loisirs » ou fortement sensible au prix ; enfin, le développement d'une offre essentiellement « point à point » ou en tous cas l'absence de pratiques tarifaires avantageuses favorisant les connexions.

Mais ces travaux ont aussi généré de nouveaux questionnements : les compagnies low-cost long courrier doivent-elles proposer plusieurs classes de cabine ou non ? Le produit vendu doit-il être intégré (le repas est compris dans la prestation) ou non ? Les compagnies low-cost doivent-elles favoriser des avions de taille importante pour réduire les coûts unitaires ou plus petits pour maximiser le taux de remplissage ? Le débat reste donc ouvert et personne n'est vraiment capable de définir précisément ce qu'est une compagnie low-cost long courrier.

Tour d'horizon des business models sur l'axe transatlantique

Plutôt que développer une nouvelle définition, les chercheurs allemands adoptent une démarche beaucoup moins normative. En se concentrant sur le marché transatlantique, ils identifient 37 compagnies aériennes majeures (avec plus de 10 fréquences par mois, vendant des sièges en classe économique et dont les sièges sociaux sont basés en Europe ou en Amérique du Nord). Sans chercher à pré-catégoriser ces compagnies aériennes, ils s'attachent à décrire le business model de ces 37 compagnies selon 17 dimensions. Ces différentes dimensions concernent par exemple la structure du réseau, l'âge de la flotte, les services à bord, la taille des aéroports, les modalités pour réaliser des correspondances, etc. Ainsi, chaque compagnie est décrite selon ces 17 critères.

Mais visualiser toutes ces compagnies aériennes dans un espace à 17 dimensions est particulièrement ardu pour ne pas dire impossible (même pour un lauréat de la médaille Fields). Ils utilisent donc une méthode statistique, l'analyse en composantes principales (ACP), pour essayer d'agréger ces 17 dimensions autour de deux principaux axes. Ces deux axes ne couvrent pas forcément toute l'information, mais ils en réunissent suffisamment pour pouvoir tirer des conclusions intéressantes. En effet, on peut maintenant positionner chacune des 37 compagnies aériennes le long de ces deux axes comme sur l'image ci-dessous.

avion


 
Leur analyse permet d'identifier 3 grands groupes de compagnies aériennes ayant des caractéristiques proches sur le marché transatlantique. Pour autant, à l'intérieur de ces groupes, des différences peuvent apparaître entre les différentes compagnies. Un premier groupe constitué de « compagnies traditionnelles » caractérisées par un réseau centralisé autour d'un hub fort, un ciblage des passagers fréquents ou affaires, des services inclus à bord et une flotte plus ou moins récente. Un deuxième groupe concerne les compagnies dites « loisirs » qui ont un produit à bord moins sophistiqué à destination des passagers loisirs, mais surtout un réseau relativement décentralisé avec essentiellement des lignes sans correspondance. Enfin, la dernière catégorie regroupe les acteurs que l'on présente traditionnellement comme les compagnies low-cost long courrier. Elles sont caractérisées par des services à bord essentiellement payants, une flotte moderne et un réseau qui tend à être décentralisé et une clientèle mixte avec une dominante de loisirs.

Des coûts réellement plus faibles

Après avoir identifié ces différents groupes, les auteurs s'intéressent à la question des coûts. Plus particulièrement, ils essayent de comparer les niveaux de coûts moyens entre les compagnies appartenant à ces trois groupes. Afin de rendre la comparaison plus réaliste, les chercheurs s'appuient sur un indicateur, le coût au siège-kilomètre-offert (CSKO) ajusté, qui prend en compte le fait que les coûts ne sont pas les mêmes selon la longueur des trajets effectués et selon la configuration du réseau La conclusion est sans appel. Sur leur échantillon d'entreprises, les compagnies traditionnelles appartenant au groupe 1 ont un CSKO moyen de 7,91 cents de dollars. Les compagnies du groupe 2 (les compagnies « loisirs ») ont un CSKO moyen légèrement plus élevé autour de 8,13 cents de dollars. En revanche, l'écart est creusé par le groupe 3 puisque les compagnies low-cost long courrier ont un CSKO moyen de 5,27 cents de dollars, soit 33% de moins que pour les compagnies du groupe 1.

L'analyse des comptes de ces compagnies permet de comprendre en partie cet écart de coûts. Plus du tiers de l'écart de coûts s'explique par la configuration de l'avion qui est beaucoup plus dense (c'est-à-dire avec plus de sièges par m2) pour les compagnies low-cost long courrier que pour les compagnies traditionnelles. A cela s'ajoute des différences sur la masse salariale (près de 20% de l'écart de coût) ou sur la consommation de carburant (près de 15% de l'écart de coût).

Au-delà de la simple question des coûts, il est donc important de garder en tête que de nombreux business models structurent le marché aérien transatlantique. Ne souhaitant pas se définir comme des compagnies low-cost long courrier mais tout en cherchant à se démarquer des compagnies traditionnelles, Joon ou Level devront arriver à trouver leur place sur ces marchés particulièrement concurrentiels.

Pour plus de détails : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0965856417304305

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