Grand Paris : la partie n’est pas finie

IDÉE. Il y a dix ans, le président de la République Nicolas Sarkozy annonçait dans un fameux discours le lancement officiel du projet du Grand Paris. Un défi urbanistique, architectural, économique, mais aussi politique qui s’est construit, et continue de se bâtir, au gré de nombreux rapports de force. Par Roger Fajnzylberg, ancien maire de Sèvres (1978-1983).
(Crédits : Getty)

« La beauté d'une ville est une part indicible, mais bien réelle du bonheur de ceux qui l'habitent. C'est un réconfort de l'âme et de l'esprit qui fait cruellement défaut à ceux qui sont condamnés à vivre dans un environnement triste et laid. » Le 29 avril 2009, c'est avec des accents lyriques prononcés que le chef de l'État Nicolas Sarkozy annonçait et détaillait le projet du Grand Paris.

Un discours fondateur d'une quarantaine de minutes qui précisait les grands axes d'un nouveau modèle de développement urbain pour la capitale : architecture, transport logement... Le formidable chantier annoncé devait remodeler l'ensemble du bassin parisien, jusqu'au Havre. Un remodelage mue par une triple ambition : rendre la zone urbaine de l'Île-de-France plus efficace, plus agréable et plus belle.

Un projet qui n'a jamais manqué de volonté — l'ensemble des acteurs de la région étaient conscients de la nécessité d'un projet de cette ampleur — mais qui risquait, et risque toujours de souffrir d'inertie, enlisé dans les sables mouvants politiques, normatifs et administratifs de notre pays.

Une partie d'échecs qui dure depuis dix ans

Dix ans plus tard, les grands axes annoncés par le chef de l'État demeurent toujours les mêmes, et le projet du Grand Paris a déjà bien avancé : la plupart des budgets ont été approuvés, les délais et les agendas se précisent et surtout une multitude de nouvelles infrastructures sont déjà sorties de terre, comme le nouveau palais de justice au Nord de Paris.

Des progrès qui ont été acquis au gré de rapports de force permanents. Car ceux qui s'intéressent à l'actualité de notre région le savent bien : le Grand Paris est une partie d'échecs qui dure depuis dix ans, et qui n'est pas encore finie. Une partie d'autant plus ardue que les acteurs, les alliances de circonstances et les méthodes varient en fonction des intérêts de chacun.

Pascal Auzannet, haut fonctionnaire chargé du pilotage du projet, rappelle ainsi dans son dernier ouvrage Les secrets du Grand Paris (Éditions Hermann) à quel point cet ambitieux programme a été en permanence tiraillé entre les différentes stratégies politiques, les enjeux techniques, et les contraintes économiques. Le remodelage du bassin parisien était attendu par tous, mais paradoxalement, sa mise en place effective n'a eu de cesse d'être suspendue à des rapports de forces entre les élus, les hauts fonctionnaires, les ingénieurs et les entreprises. Une synergie que Pascal Auzannet a pu observer au plus près, étant lui-même à la jonction entre le monde politique et administratif.

Un terrain d'affrontements, de transactions et d'accommodements permanents

Mais pour le Grand Paris, la partie n'est pas finie. Elle n'a même jamais été aussi intense : les problématiques budgétaires, les enjeux autour des Jeux olympiques et les différents ajustements sur certaines lignes de transports intensifient ces tractations en coulisse. Le 22 février dernier, le Premier ministre Édouard Philippe rendait ses arbitrages sur le nouveau calendrier du futur métro du grand Paris. Une reprise en main par l'État pour dépasser certaines difficultés (financières, calendaires, technologiques) qui est aussi un coup tactique pour tenter d'accélérer le processus, contraindre certains acteurs à s'investir davantage et rallier le soutien de nombreux élus locaux.

Un rapport de force et une recherche du compromis que l'on retrouve sur chacun des grands chantiers du Grand Paris. Ainsi, Europacity, le gigantesque quartier de loisirs qui doit ouvrir dans le val d'Oise sur le tracé de la future ligne 17, est soutenu énergiquement par l'État et la commune de Gonesse : près de 10 000 emplois sont attendus dans une des zones les plus pauvres de la région. Les associations écologistes pointent du doigt les lacunes environnementales du projet, et l'annulation du plan local d'urbanisme par la justice devrait aboutir à un nouveau compromis dans quelques mois, avec de nouveaux dispositifs écologiques proposés par les promoteurs du projet et un renouvellement des engagements environnementaux de l'État. Europacity, comme quasiment tous les autres projets du Grand Paris, avance par à-coups, au fil de compromis plus ou moins assumés.

De la même manière, le Charles-de-Gaulle Express qui doit relier d'une traite l'aéroport de Roissy et le centre-ville de Paris est encore suspendu à de nombreux rapports de force. Certes, en février dernier, la ministre des Transports Élisabeth Borne annonçait la « signature du contrat de concession », première étape vers un début des travaux. Mais le projet continue d'être décrié par les associations d'usagers et les élus locaux qui estiment que le chantier pourrait perturber le bon fonctionnement du RER B, déjà l'une des lignes les plus chargées et saturées d'Europe. Sans compter que le CDG ne desservira pas les territoires, à la différence de la ligne 17.

Sur ce projet comme sur tous les autres, notamment les nombreuses gares qui doivent émailler les nouvelles lignes, le Grand Paris s'avère être un terrain d'affrontements, de transactions et d'accommodements permanents. Les dix ans du discours de Nicolas Sarkozy marquent une étape d'une saga méconnue du grand public, et pourtant essentielle au développement de Paris et de tout le pays.

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