Innovation et performance de l’entreprise

OUTSIDE THE BOX. L’innovation est la clé de la performance de l’entreprise. Cette dimension qui faisait hier la différence de réussite entre les entreprises qui innovent et celles qui n’innovaient pas est aujourd’hui devenue vitale avec le rôle d’accélérateur que jouent les nouvelles technologies, notamment l’IA et les big data. Au point qu’il est aujourd’hui possible de dire que l’alternative est « innover ou disparaître progressivement ». Autant dire qu’il n’y a pas d’alternative ! Par Alain Conrard, CEO de Prodware Group (*)
(Crédits : DR)

L'innovation est aujourd'hui plus que jamais centrale dans la performance des entreprises. Mais toutes n'ont pas besoin de la même performance. Elles n'ont donc pas besoin de la même innovation. Si le besoin d'innover est universel, il n'y a pas pour autant de rythme universel de l'innovation. Chaque entreprise a sa propre trajectoire et ses propres enjeux. Il faut donc s'éloigner d'une vision généralisante, voire idéologique, pour adopter un point de vue plus réaliste, donc plus nuancé, tel qu'il apparait sur le terrain concret des entreprises.

L'innovation est aujourd'hui le discriminant qui pèse le plus sur les entreprises. Discriminant objectif : les entreprises les plus innovantes (ou celles qui ont le plus recours à l'innovation) sont souvent celles qui connaissent la plus grande réussite. Ce recours, on va le voir, doit évidemment être en phase avec les réalités et les besoins de l'entreprise. Mais aussi discriminant psychologique : beaucoup de chefs d'entreprise sont impressionnés devant l'innovation. Et ceci pour des raisons de taille, de capacité financière, de domaine d'activité, ou, de façon plus pernicieuse, pour des raisons de confiance en eux. Nombre d'entre eux pensent que l'innovation n'est pas accessible, et qu'elle est un domaine réservé aux grandes entreprises ou à l'univers de la tech composé de quelques rares élus aux pratiques ésotériques : chercheurs du MIT, de la Silicon Valley ou du plateau de Saclay. Ils se jugent incapables de comprendre l'innovation, notamment dans la dimension de grande complexité technologique qu'elle a prise. Et donc, ils se croient incapables de l'utiliser à leur profit. Certains s'inquiètent du cloud public ou du rôle grandissant de l'IA dans la conduite des affaires. D'autres se sentent même perdus, et songent à vendre leur entreprise ne sachant plus en quel sens agir.

Pourtant, l'innovation est là, et il faut s'en accommoder.

Mais si elle concerne toutes les entreprises (de la plus minuscule à la plus gigantesque), elle n'est pas pour autant une pratique unique et totalitaire, écrasant sous une puissance unificatrice la diversité du réel. Il faut donc penser au concept d'innovation, non pas comme à une notion univoque, mais au contraire recouvrant des significations diverses qui expriment chacune des niveaux distincts d'une réalité multicouches. Il n'y a pas l'innovation, mais des innovations, des niveaux et des réalités d'innovation multiple.

On peut bien sûr reprendre les éléments de langage du marketing pour penser ce phénomène comme un processus unifié qui touche toutes les entreprises de manière égale. Pourtant, en cette manière comme en toute chose, il faut se garder des généralités et prendre la mesure d'un paysage économique plein de nuances.

Voir les choses ainsi, casser le côté monolithique du concept tel qu'il est généralement envisagé, permet entre autres de remédier à la crainte qu'inspire le phénomène à certains chefs d'entreprise. Une telle approche du concept permet en effet de comprendre que l'innovation est pour tout le monde. Il y a forcément un niveau d'innovation qui s'accorde aux besoins de toute entreprise, y compris la plus petite, la plus modeste.

L'innovation : à la fois sectorielle et systémique

On peut avoir l'impression illusoire que l'innovation touche le produit, et seulement le produit. Elle serait responsable du progrès de l'offre d'une entreprise. Cette idée est bien sûr pertinente, mais la réalité est plus complexe. En fait, il y a un double apport de l'innovation : un côté sectoriel et un côté systémique. Sectoriel, parce que l'innovation fait progresser telle ou telle activité, en lui apportant de nouvelles solutions ; et systémique, parce qu'elle a un effet général : technologique, mais aussi culturel et social. L'exemple d'Amazon qui a bouleversé les cartes avec un système de livraison infiniment plus rapide (imposant par là à tout le marché une nouvelle norme dans le rythme de désirabilité des produits) est significatif. Parmi les conséquences sociologiques, ceci nous a tous rendu beaucoup plus impatients dans la satisfaction de nos désirs de consommation. Ainsi, l'innovation structure très largement au-delà de sa seule dimension technologique à travers les modes de pensée et les nouvelles logiques qui l'animent : elle permet de penser autrement.

De quelle manière ? Parce qu'elle est au service de la performance et qu'elle est obligatoire pour la compétitivité (le présent) et la pérennité des entreprises (le futur), l'innovation ne touche pas uniquement le cœur des métiers, elle a également un effet général qui fait que l'économie ou l'industrie, voire la société tout entière, se développent aujourd'hui dans un bain général d'innovation. Celui-ci forme le terreau pour d'autres façons de penser le développement économique. On peut, par exemple, aujourd'hui, être une toute petite entreprise d'une dizaine de collaborateurs qui fait du savon de Marseille en Allemagne, et exporter dans le monde entier. Ici, l'innovation a peut-être aidé cette entreprise à mieux produire un savon de meilleure qualité pour moins cher (dimension sectorielle), mais elle l'a surtout aidé à se développer grâce à cette innovation transversale qu'est le commerce électronique (dimension systémique).

La double dimension (sectorielle et systémique) fait que l'innovation ne touche pas que le produit ou la conception du produit, elle touche la proposition de valeur globale que l'entreprise apporte à ses clients.

Adapter l'innovation à l'entreprise, et pas l'inverse

Même si l'innovation est aujourd'hui impérative, il faut que l'entreprise et l'entrepreneur fassent preuve d'une forte dose d'intelligence, d'anticipation, d'agilité, de flexibilité pour la calibrer et l'appliquer avec justesse à la situation de l'entreprise. Car le recours à l'innovation répond certes à des besoins de marché ou d'un marché à créer. Mais il doit aussi s'ajuster à la capacité de l'entreprise de se transformer à la vitesse nécessaire. Et, dans bien des cas, cette vitesse n'est pas celle que le rythme frénétique de progression de l'univers numérique ou que l'innovation impose.

En fait, il y a tant de situations particulières que le rythme de progression de toutes les entreprises ne saurait être uniforme : sauf à se mettre en danger, chacune doit aller à son rythme.

Pour les entreprises, il ne s'agit pas de tenter de suivre sans recul toutes les innovations (à supposer que leur situation financière le leur permette), mais de s'appuyer sur l'innovation pour continuer à vivre et à mieux vivre et à être plus performant de manière progressive.

Le besoin d'innover est désormais un acquis, une nécessité de base, une obligation dont plus personne ne doute. Ce qui fera la différence, c'est ce dosage à tous les niveaux de l'entreprise pour qu'elle puisse se transformer de manière efficace ou muter de manière pertinente. Le point de réussite sera déterminé par l'attention que l'on portera aux bénéfices que l'on va extraire de l'innovation, à quel niveau on va l'appliquer, et à quelle vitesse. La question porte sur les modalités et la pertinence. Comment innover ? Quel poids, quel moyen et quelle vitesse lui donner, et avec quelle ambition ?

Il y a donc à trouver un juste équilibre entre ce que l'innovation permet et ce qu'on permet à l'innovation de faire en termes d'intensité et de vitesse dans l'entreprise. Innover doit être fondé sur une réflexion approfondie du dirigeant ou de l'équipe dirigeante pour une bonne compréhension de toutes les dimensions pour l'écosystème de l'entreprise. C'est ainsi que, bien au-delà de la réflexion sur les produits ou sur l'offre en général, le succès de l'innovation repose sur un juste dosage dans son intégration progressive dans l'entreprise. C'est à l'innovation de s'adapter à l'entreprise, et pas l'inverse.

Pour qu'elle soit réussie, elle ne peut avoir lieu que sur une échelle de temps que l'entreprise et son environnement - notamment les fournisseurs ou toutes les parties prenantes - sont capables d'affronter et d'absorber. Même si la nécessité et la perception du besoin d'innovation est plus grande qu'il y a une dizaine d'années, même s'il y a aujourd'hui une bien plus grande maturité de l'utilisateur, rien ne dit que toute entreprise relève d'une logique d'innovation maximaliste. L'innovation ne peut se faire que dans une logique pensée de transformation maitrisée, à l'échelle des besoins et des capacités concrètes de l'entreprise.

Les entreprises qui vont réussir vont être celles qui auront bien calibré (c'est-à-dire avec le plus grand réalisme) la manière avec laquelle elles vont innover par rapport à leur plan de route, qu'il soit initial ou revu. Et là, toute l'intelligence du dirigeant se joue dans le fait de savoir accorder ses choix d'innovation avec son objectif d'entreprise.

La performance, mais pas à tout prix

Si la performance des entreprises est directement liée à l'innovation, il importe de réaliser que la notion de performance ne relève pas des seuls registres économique ou technologique : elle concerne également la dimension sociale. Les nouvelles technologies - notamment les IA génératives - vont bouleverser l'équilibre de nombreuses entreprises par l'apport d'un niveau de performance incroyablement élevé, mais aussi par une réorganisation profonde de l'emploi. Il est donc nécessaire d'envisager l'ensemble du tableau de la performance en observant tout l'éventail des conséquences, et pas seulement les lignes de bas de bilan.

C'est le sens du rapport remis à Emmanuel Macron le 13 mars par la Commission de l'intelligence artificielle dans ses développements consacrés à l'avenir du marché du travail. La Commission présente une analyse positive sur l'impact de l'IA, à condition que son implémentation dans l'entreprise se fasse en même temps qu'un accompagnement et de négociations. Pour étayer ses conclusions, la Commission s'appuie sur une étude issue des données de l'Insee. Elle constate que 321 entreprises ayant adopté l'IA entre 2018 et 2020 ont vu leur nombre total d'emplois augmenter, contrairement à 897 autres qui ne l'ont pas fait. Cette augmentation est largement due à l'apparition de nouveaux métiers, absents de l'entreprise avant 2018. Le rapport note que les gains de productivité sont tels qu'ils absorbent significativement un possible « effet d'éviction », c'est-à-dire la suppression de certains postes. Cet effet accélérateur de productivité est mesuré partout. En avril 2023, une étude américaine du National Bureau of Economic Research de Cambridge relève que « l'assistance de l'IA augmente la productivité des agents de 14 %, mesurée par le nombre de problèmes de clients qu'ils peuvent résoudre par heure ».

Même s'il n'est pas remplacé, le travail d'une majorité de collaborateurs sera touché d'une manière ou d'une autre par l'IA. S'interrogeant sur l'acceptabilité de cette technologie dans les entreprises, la Commission regrette que « les travailleurs et leurs représentants sont aujourd'hui peu associés aux choix technologiques et organisationnels ». Avec cette notation, ils confirment que l'innovation ne se résume pas à un ensemble d'éléments techniques : elle est aussi en très large partie une problématique sociale et sociétale, et doit aussi être envisagée comme telle. C'est bien en cela que l'innovation est potentiellement porteuse d'une amélioration de la performance des entreprises, notamment dans la dimension sociale qu'elle occupe.

En cette matière, le rôle de stabilisateur social des ETI en région va s'affirmer encore davantage dans les années qui viennent.

______

(*) Alain Conrard, auteur de l'ouvrage « Osons ! Un autre regard sur l'innovation », un essai publié aux éditions Cent Mille Milliards, en septembre 2020, CEO de Prodware Group et le Président de la Commission Digitale et Innovation du Mouvement des ETI (METI)​.

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Commentaire 1
à écrit le 10/04/2024 à 12:09
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Cela part d'un bon sentiment mais le bilan désastreux d'une meute de patrons tous inféodés à leurs comptables, avocats fiscalistes et banquiers est la réalité en néolibéralisme. Donc l'innovation ça leur enlève des sous à leurs paradis fiscaux, la pe...

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