Intelligence artificielle ou superficielle ?

LE "CONTRARIAN" OPTIMISTE. Faut-il avoir peur de l'intelligence artificielle (IA)? Beaucoup moins que le disent certains discours alarmistes qui voient déjà les machines prendre le dessus sur les êtres humains mais pour autant l'IA nous oblige à poser à nouveaux frais la question de l'autonomie et de la liberté de l'individu. C'et ce qu'explique le philosophe Gaspard Koenig, dans son dernier ouvrage (*), résultat d'un voyage aux quatre coins du monde durant lequel il a interrogé 120 spécialistes de l'IA (*) Par Robert Jules, directeur adjoint de la rédaction.
(Crédits : Pixabay / CC)

Le catastrophisme est en vogue. Il a même sa théorie, le collapsisme, alimenté notamment par le réchauffement climatique et l'intelligence artificielle (IA). L'IA, en effet, « n'est pas une technologie comme les autres ni un simple progrès technique » comme le furent le moteur à combustion, l'électricité, l'informatique..., indiquent Cédric Sauviat et Marie David, deux polytechniciens entrepreneurs, spécialistes de l'IA et du big data, dans "Intelligence artificielle. La nouvelle barbarie" (éd. du Rocher).

Selon eux, l'IA promeut « une équivalence entre l'humain et la machine » qui pourrait aboutir à « une pensée sans sujet qui nie la subjectivité » remettant en cause des domaines essentiels de la vie en société comme la justice, la médecine ou l'organisation du travail... et à terme saper les rapports humains ou cette institution sociale qu'est la démocratie. En attendant que cette vision pessimiste se réalise, on lira comme antidote l'ouvrage de Gaspard Koenig, "La Fin de l'individu. Voyage d'un philosophe au pays de l'intelligence artificielle" (éd. de L'Observatoire). Voulant « comprendre son époque sans la maudire », le fondateur du think tank Génération libre, tenant d'un gai libéralisme - au sens où Nietzsche parlait d'un « gai savoir » -, a sillonné la planète, de Cambridge à San Francisco, en passant par Shangaï, Tel-Aviv, Copenhague sans oublier Paris, pour questionner 120 spécialistes de l'IA.

Débat chez les chercheurs

Écrit d'une plume alerte et jubilatoire mêlant réflexions philosophiques, observations pratiques et esquisses de chercheurs hauts en couleurs, le reportage de Koenig montre que l'IA fait débat chez les spécialistes. Débat qui montre que « l'IA, avant de devenir une technique industrielle, est un projet philosophique de compréhension du monde ». Ainsi, la recherche en logique et mathématiques qui a présidé à l'émergence de l'IA s'inscrit dans le sillage de la nouvelle vision du monde que Descartes, Spinoza et Leibniz ont impulsé au XVIIe siècle. En se fondant (déjà) sur les mathématiques, ils ont revisité la métaphysique scolastique pour, dans le cas de Descartes, établir que le sujet est autonome grâce à son libre-arbitre. Ce moment cartésien qui a changé notre vision du monde est-il menacé ? Le célèbre historien Yuval Noah Harari le pense. « Les droits individuels, le mécanisme du marché, le droit de vote et la justice pénale », qui sont au fondement de nos sociétés démocratiques, pourraient bien disparaître au nom de l'efficacité prédictive de l'IA. Une logique qui découle de sa capacité à choisir mieux que nous les options qui optimisent notre « bien-être ».

Cette dépossession repose la vieille question du déterminisme qu'adressait déjà Spinoza à Descartes sur l'illusion de la liberté. « Aujourd'hui, l'IA doit nous conduire à interroger le primat de la rationalité individuelle : tout choix volontaire (non contraint) n'est peut-être pas "libre" », pointe Koenig. On en voit une illustration en Chine où l'IA connaît un développement spectaculaire sous l'impulsion du Parti communiste. Pour le philosophe et ancien trader Nassim Nicholas Taleb, plus sceptique, l'IA génère une illusion de maîtrise, car elle oublie le hasard. Pour l'auteur du Cygne noir (éd. Les Belles Lettres), « l'optimisation crée de la fragilité ; la fragilité pousse à l'immobilité ». À l'exemple de ces ports autonomes chinois où un chewing-gum jeté sur une bande de signalisation peut avoir des conséquences graves, obligeant à mettre le port sous cloche, en l'empêchant d'évoluer et de se perfectionner. « N'est-ce pas le comble du paradoxe : l'optimisation s'oppose au perfectionnement », remarque Gaspard Koenig. Finalement, les promesses totalisantes de l'IA sont peut-être davantage un mirage qu'une certitude. Comme le confie un spécialiste à l'auteur, « l'IA s'accompagne d'une forte dose d'intelligence superficielle ».

(*) Gaspard Kœnig "La fin de l'individu" (Voyage d'un philosophe au pays de l'intelligence artificielle), éditions L'Observatoire/Le Point, 398 pages, 19 euros.

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Commentaires 2
à écrit le 25/09/2019 à 15:39
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Les réactionnaires disent : ça marchera pas ! comme pour l'avion, le moteur à combustion etc... il n'y a que ceux qui cherchent qui trouvent en attendant... Google à faillit annoncer qu'il pouvait casser tous les codes actuelles, il a été rappelé...

à écrit le 25/09/2019 à 9:21
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Moins on a d'intelligence et plus elle est artificielle!

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