L'encaustique taxe du G7

CHRONIQUE. "Parfois, il faut accepter de payer un certain prix pour que l'on vous laisse tranquille." Cette citation imaginaire est celle d'un dirigeant d'entreprise à forte valeur ajoutée et à faible recette fiscale. Il vient d'apprendre qu'il devra désormais s'acquitter d'une taxe d'au moins 15% sur ses bénéfices, d'où qu'ils viennent. Même pas mal, pourrait-on presque lire dans ses pensées. (*) Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
(Crédits : Reuters)

D'ailleurs, il suffit d'entendre les quelques réactions feutrées des principaux concernés pour se faire une idée de la faible gène occasionnée. Cela peut paraitre curieux mais dans cette affaire, le plus heureux n'est donc peut être pas celui qui réclamait la taxe, mais celui qui la paiera. Certes, 20 ou 25% eurent été plus dissuasifs pour ces entreprises qui pratiquent l' optimisation fiscale les yeux fermés.

« Quand on parle pognon, à partir d'un certain chiffre, tout le monde écoute », Michel Audiard.

Mais en fait, la taxe n'est pas le sujet qui fâche. Cette taxe de 15% n'est certes pas une bonne nouvelle, mais ce n'est pas la pire des nouvelles qui pend au nez de ces mastodontes boulimiques. La véritable crainte qui ronge ces entreprises n'est pas une confiscation partielle de leurs bénéfices, mais une remise en cause de leur incommensurable pouvoir sur le cours des choses. Tout mais pas ça. Il ne faut jamais nommer le diable, mais tout le monde sait quelles sont les entreprises visées en priorité dans cette affaire. Elles se comptent sur le bout des doigts, ces mêmes doigts qui cliquent sur les écrans où sévissent ces mêmes entreprises.

Les Knomics

Alors oui, cette taxe est une victoire pour ceux qui prêchent depuis longtemps, une vraie chapelle expiatoire dédiée aux entreprises licencieuses. Pas si roides que cela finalement les GAFAM. A vrai dire le consensus était devenu tellement fort pour une action en force qu'il n'affichait même plus de couleur politique. On était plus très loin de l'égrégore, cette forme d' « esprit de groupe constitué par l'agrégation des intentions, des énergies et des désirs, tous unis dans un but bien défini » : faire payer les GAFAM. Quand même, on reconnaitra ses membres les plus actifs dans le camps des Kalecki, Keynes, Konczal et Krugman (Knomics), ces 4 économistes œuvrant (2 derniers) ou ayant œuvré (2 premiers) pour une plus grande contribution du profit des entreprises à la cause nationale et au bien vivre ensemble. En langage économique, on dira que ces économistes appartiennent au camps des interventionnistes, à opposer donc au camps du « laisser faire ». Dans le cas des principales entreprises ici concernées, on pourrait parler d'une forme de socialisme digital.

Et pourtant, cette taxe n'est finalement pas si cher payé pour ces entreprises qui avaient bien besoin de redorer leur blason. En fait, cette taxe est presque un encaustique, cet enduit à base de cire dont on imprègne les statues pour les rendre luisantes et en atténuer la fadeur. Un prix dérisoire donc que paieront ces entreprises pour continuer de faire la pluie et le beau temps, entre autres sur nos petits écrans. D'ailleurs, même les plus grands monopoles, voire certaines dictatures, ont parfois dû faire le dos rond afin de laisser passer l'orage. Cette réflexion nous est brillamment exposée par Daron Acemoglu et James Robinson, deux économistes de renom dans un ouvrage d'économie politique qui fit date (2006) : Economic Origins of Dictatorship and Democracy. En effet, le problème des élites économiques ou politiques, c'est qu'elles peuvent avoir une fâcheuse tendance à s'imposer un taux de taxation proche de 0 %, ce qui laisse peu de place à la redistribution des richesses. On obtient alors une condition nécessaire et suffisante à la montée des inégalités, ce qui ressemble fort bien à ce qui nous arrive. Or, « l'âne est patient, mais à tirer sur sa queue, il y a une limite », Massa Makan Diabaté. Dès lors, l'élite économique accepte de payer une taxe plutôt que de risquer une révolution, on pourra presque dire qu'elle achète la paix sociale.

Mais les auteurs ne s'arrêtent pas là...

En effet, une taxe apaise mais ne rend pas niais. La colère ne gronde plus, mais la marmite boue encore. Qu'est ce qui assure qu'un prochain gouvernement n'annulera pas la taxe mise en place ? Peut être aura-t-on des mini Trump 2.0 qui décideront d'annuler la taxe, de la même manière que le Trump original décida de sortir de l'accord sur le climat ? Et pourquoi le peuple victorieux s'arrêterait-il d'ailleurs en si bon chemin ? Emporté par la fougue, il pourrait exiger d'autres efforts encore de la part de l'élite.

Dès lors nos deux économistes ne voient qu'une issue au problème : que l'élite accepte de rendre une partie de son pouvoir au peuple, comme témoignage de bonne volonté, preuve d'un engagement durable : un genre de Nexum, où le débiteur romain fournissait comme garantie de son prêt son propre asservissement ! Dans notre cas précis, à quoi pourrait ressembler cet engagement des entreprises ? Quel serait le geste décisif que pourraient réaliser les GAFAM par exemple pour nous convaincre de leur bonne volonté durable ? Et bien, elles pourraient finalement décider de céder un peu là où elles souhaitaient surtout ne pas négocier : leur traitement très personnel de nos données personnelles, leur statut tacite de monopsone (symétrique du monopole) qui impose un prix de vente suffisant aux petits vendeurs pour garder la tête hors de l'eau, etc. En clair, ces entreprises accepteraient de céder une partie de leur pouvoir, pour exercer ce qu'il en reste en toute quiétude. Pas sûr que ce soit mieux, tout dépendra de la suite qui sera donnée à cette affaire.

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Commentaire 1
à écrit le 09/06/2021 à 9:43
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Vous êtes fatiguants tous de demander à ces génies d'une économie qui sous la dictature néolibérale était devenue d'un ennui total avec toujours les mêmes gens qui gagnaient toujours plus et plus vite du fait de l'ancéstral réseau oligarchique, de fa...

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