La CSRD va sonner le glas du « greenwashing » ordinaire des sociétés financiarisées

OPINION. L'entrée en vigueur prochaine de la CSRD va contraindre les entreprises à clarifier leurs politiques environnementales. Elle devrait notamment mettre un frein aux logiques de compensation qu'offrait l'ancien système, qui étaient parfois propices au « greenwashing », et les pousser à intégrer les limites planétaires pour renforcer la soutenabilité de leur modèle d’affaires. Par Philippe Naccache et Julien Pillot, Enseignants-chercheurs, Inseec Grande École, Omnes Education.
Philippe Naccache et Julien Pillot
Philippe Naccache et Julien Pillot (Crédits : DR)

Au 1er janvier 2024, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) entrera en vigueur dans les pays membres de l'UE. D'application progressive, elle concernera dans un premier temps les grandes entreprises cotées, européennes ou non, qui dépassent les 500 salariés et les 40 M€ de chiffre d'affaires (ou 20 M€ de total de bilan), avant de s'étendre graduellement à toutes les entreprises cotées (ou filiales) d'au moins 10 salariés à horizon 2028. Disons-le clairement : si cette directive est appliquée comme il se doit, elle siffle la fin de la récré pour toutes les sociétés adeptes du greenwashing ordinaire !

Le premier apport de la CSRD est, en effet, d'imposer aux entreprises une nouvelle réflexion sur leurs obligations en matière de reporting extra-financier. Plus transparente et précise que la NFRD qu'elle remplace, elle devrait permettre à la société civile d'avoir une vision nette de l'impact social et environnemental que les entreprises ont, et corolairement leur degré d'exposition aux risques de même nature. Les entreprises auront désormais l'obligation de révéler à la fois les impacts négatifs des ruptures environnementales pour elles-mêmes, mais également les moyens mis en œuvre pour diminuer leur propre impact sur l'environnement.

Il s'agit bien là d'une rupture majeure et bienvenue avec la pratique qui a jusqu'alors prévalu. En effet, la NFRD a fait le lit, osons le dire, de tous les petits arrangements et contournements opportunistes, pour faire passer les entreprises pour les entités responsables qu'elles ne sont pas toujours. Cette directive a été à l'origine de la création de pléthore d'indicateurs ESG compensables entre eux, et qui ce faisant ouvraient la possibilité aux entreprises de ne pas réellement aborder les aspects les plus problématiques de leurs pratiques. J'ai un impact désastreux sur l'environnement ? Peu importe, car ma politique RH qui prône l'inclusion et l'égalité salariale vient soutenir mon score ESG. C'est ainsi que certains pétroliers peuvent présenter un score ESG flatteur en dépit de la nature de leur activité, ou que 33% des fonds verts dépassent l'objectif de 3 degrés de réchauffement climatique. Dit autrement, la NFRD a ouvert la voie à des pratiques de forum shopping (sélection des agences de notation présentant la pondération la plus favorable) aussi opportunistes sur le plan de la stratégie, que regrettable sur celui de l'éthique.

RSE ou développement durable ?

Le deuxième apport de la CSRD est de clarifier les actions qui relèvent de l'environnement, du social et de la gouvernance via la mise en place des ESRS (normes européennes d'information en matière de durabilité). Ces normes introduisent également une granularité plus fine dans la détermination des impacts, notamment sur le plan environnemental (pollution, changement climatique...). Les entreprises ne vont donc plus avoir d'autre choix que de dissocier clairement ce qui relève de la RSE de ce qui relève du développement durable.

Découlant de l'évangile de la prospérité d'Andrew Carnegie et du mouvement puritain philanthropique, la « RSE » est cette politique de l'entreprise qui vise la performance financière (notamment via la réduction des risques environnementaux), la productivité des RH (en boostant leur engagement), et la création de valeur durable avec les parties prenantes. Le « développement durable », quant à lui, cherche une équité intergénérationnelle via la construction d'un modèle d'affaire « qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Dès 2024, la CSRD doit conduire les entreprises à mieux intégrer ces deux dimensions dans leur stratégie. Nous leur suggérons de penser leurs activités selon deux cadres complémentaires. Le premier est celui des limites planétaires. Il permet aux entreprises de penser leur stratégie de développement durable en mesurant la pression que leurs activités font subir à l'environnement (émission de GES, perte de biodiversité, flux chimiques, etc.) et à trouver des solutions quant au moyen de les réduire. Un impératif à l'heure où 6 des 9 limites répertoriées sont déjà franchies. Le second est la théorie du donut telle que définie par l'économiste britannique Kate Raworth. Cette théorie permet de matérialiser les objectifs possibles des politiques RSE des entreprises. On trouve les objectifs sociaux généraux (éducation, droit de l'homme, paix...) dans le centre vide du donut, tandis que les limites planétaires sont l'espace vide qui entoure le gâteau. Reste aux entreprises à veiller à ce que leurs activités soient, individuellement comme collectivement, compatibles avec la partie comestible du donut... la voracité de chacune entrainant de facto une dégradation du bien commun et la perte de l'intérêt général. Si la CSRD permet aux entreprises d'engager une véritable transition, plutôt que de dépenser moult ressources et énergies en la recherche de stratagèmes ingénieux leur permettant d'optimiser leur notation, ou d'amadouer les régulateurs et l'opinion, alors - et seulement alors - aura-t-elle atteint son but.

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Commentaire 1
à écrit le 07/11/2023 à 10:33
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Et qui va aller contrôler au Bangladesh, en Chine, au Vietnam ou en Thaïlande svp ?

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