« La subvention ne doit plus être le seul outil de stimulation de l’innovation » (Julie Martinez)

OPINION. A l'occasion de sa venue à VivaTech, Emmanuel Macron a annoncé l'investissement de plus de 500 millions d'euros pour développer l'intelligence artificielle (IA) en France et faire émerger des champions et des pôles français de taille mondiale. Par Julie Martinez, rapporteure générale de la Commission France Positive.
« Investir dans nos entreprises innovantes par des subventions publiques ne suffira pas à créer un écosystème Tech français prospère, international et durable », assure Julie Martinez
« Investir dans nos entreprises innovantes par des subventions publiques ne suffira pas à créer un écosystème Tech français prospère, international et durable », assure Julie Martinez (Crédits : DR)

Si l'écosystème de l'innovation en France a fait des progrès considérables depuis une dizaine d'années - en comptabilisant aujourd'hui fièrement 26 licornes françaises, les retombées industrielles de l'innovation pour le pays restent décevantes. Cette incapacité à relever le défi de l'innovation industrielle contribue chaque année au déficit chronique de notre balance commerciale et à l'affaiblissement majeur de notre souveraineté technologique (1).

Investissements nécessaires

Et pour cause, investir dans nos entreprises innovantes par des subventions publiques ne suffira pas à créer un écosystème Tech français prospère, international et durable. On le sait, l'État doit d'abord permettre à nos entreprises innovantes d'émerger sur notre territoire, ce qui implique des investissements massifs dès les premiers maillons de l'innovation que sont l'éducation et la recherche fondamentale. L'État doit aussi et surtout leur permettre de trouver un marché et d'augmenter leur chiffre d'affaires, ce qui peut passer par une mobilisation accrue de notre commande publique.

Les investissements publics sont évidemment nécessaires - et il faut saluer les récentes annonces du Président de la République en faveur de l'IA. Ce n'est cependant qu'en réhabilitant notre industrie comme un acteur majeur de l'innovation et en s'obligeant à contractualiser davantage avec de jeunes entreprises de la Tech - en misant sur la commande publique, que l'État pourra véritablement soutenir l'innovation en France. La commande publique doit pouvoir permettre aux entreprises de la French Tech de faire valoir, non seulement un revenu futur auprès de leurs investisseurs, mais aussi la confiance de l'État dans leurs innovations.

Peu d'ambitions

Pourtant, la commande publique française est inégalitaire pour nos entreprises de la Tech et trop peu ambitieuse en France pour que réussisse pleinement la stratégie d'innovation portée par nos gouvernements. Elle n'est encore que très faiblement orientée vers les solutions innovantes et les petites entreprises. Malgré la nouvelle dynamique de la French Tech en France, nos acteurs publics souffrent toujours d'une faible culture entrepreneuriale, peu adaptée à la prise de risques.

Deux tendances peuvent être observées en la matière : nos acteurs publics privilégieront soit de très grandes entreprises françaises déjà bien implantées sur le marché - alors même que les innovations de rupture sont bien souvent portées par des acteurs émergents, soit de grandes entreprises multinationales et non-européennes qui disposent de solutions véritablement innovantes, tout en déplorant l'impact sur notre souveraineté technologique. Résultat : la sphère publique française se coupe d'un vivier d'innovations local. Concernant l'innovation de nos administrations, cela renforce par la même occasion l'insatisfaction de nos concitoyens qui, alors qu'ils contribuent au financement de nos services publics, déplorent bien souvent leurs prestations comme n'étant pas à la hauteur des services de l'économie numérique privée qu'ils utilisent au quotidien (2). Pour finir, cela pousse également nos entreprises françaises innovantes, parmi lesquelles les plus petites startups, à chercher des premiers contrats publics à l'étranger afin d'acquérir des clients fiables et crédibles.

En pratique, alors que la commande publique représente 111 millions d'euros en 2020 (3), les startups et les PME innovantes sont largement sous-représentées au sein de ce marché : 2% seulement de la commande publique de l'État est aujourd'hui dirigée vers ces entreprises (4).

L'Etat doit s'engager plus

Les avantages de la commande publique pour notre stratégie d'innovation sont pourtant nombreux et les pays étrangers ayant vu émerger les plus grandes technologies disruptives l'ont bien compris. En plus de générer du chiffre d'affaires et d'assurer un revenu futur stable pour nos entrepreneurs, cela entrainerait aussi une activité économique en France (de l'emploi, des revenus, des recettes fiscales) tout en modernisant notre service public au bénéfice direct du contribuable. La Chine mais aussi les États-Unis l'ont bien compris - la BARDA et la DARPA jouent un rôle crucial dans la précommande auprès d'entreprises innovantes. Ce sont les commandes publiques de l'État fédéral américain qui, par exemple, ont permis le développement spectaculaire de SpaceX (5).

Avec le plan « Je choisis la French Tech », le gouvernement français s'est engagé il y a quelques jours à doubler la commande de l'État à destination des PME innovantes de 2% à 4% d'ici 2027. Il faut se réjouir du signal positif envoyé aux entreprises françaises, mais cela ne semble pas pour autant suffisant au regard des politiques exercées par d'autres pays. Afin de garantir l'émergence d'un écosystème Tech durable, l'adoption d'un « Buy European Tech Act » coercitif français et/ou européen permettant de réserver de manière privilégiée une part de la commande publique à nos entreprises innovantes locales pourrait être envisagée. Certains invoqueront le droit européen de la concurrence comme barrière à l'application d'une telle stratégie en France. Il est vrai que l'adoption d'un « Buy European Act » ou d'un « Small Business Act » à l'européenne paraît difficilement réalisable à court terme, puisqu'une refonte du droit européen de la commande publique serait nécessaire, et soumis à un accord entre les États membres.  À l'instar de l'Allemagne, il serait en revanche tout à fait envisageable d'invoquer le principe de proportionnalité et d'intégrer au même niveau que les grands principes européens de la concurrence, d'autres principes essentiels tels que celui du soutien à l'innovation ou aux PME, dans le cadre de la commande publique.

En tout état de cause, si une évolution juridique est nécessaire, il est étonnant que nos députés européens ne se soient pas déjà activement penchés sur le sujet en Europe dans le cadre de leur régulation proactive de l'IA (6).

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(1) Sénat, Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France, Rapport d'information n° 655 (2021-2022), déposé le 8 juin 2022.

(2) Public, GovTech en France : État des lieux et perspectives. Amener l'innovation au cœur de la sphère publique. Marie-Barbe Girard, Gabriel Fonlladosa, 2019.

(3) Observatoire économique de la commande publique, Recensement de 2020.

(4) Direction des Achats de l'État du ministère de l'Économie et des Finances.

(5) La NASA lui a confié en 2012 douze missions d'approvisionnement de l'ISS pour 1,6 milliard de dollars. En France, le fait que les start-ups représentent seulement 1 % du marché spatial européen est en grande partie dû à la difficulté qu'elles ont à accéder à la commande publique européenne.

(6) Les députés européens ont adopté le 14 juin 2023 l'Artificial Intelligence Act (IA Act), le projet de règlement de la Commission européenne sur l'IA visant à réguler les développements et risques de l'IA.

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Commentaires 4
à écrit le 23/06/2023 à 9:01
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L'UE est entre les mains des américains et des chinois, la course est perdue tandis que la Corée du Sud et le Japon et Taïwan roulent pour les USA qui possèdent déjà les meilleurs processeurs, alors oui je suis entièrement d'accord qu'il serait temps...

le 24/06/2023 à 8:36
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"L'UE " Lapsus trop facile ! Je voulais dire l'IA bien entendu.

à écrit le 22/06/2023 à 13:30
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Oui, les Français ont plutôt un tempérament de rentier du foncier ou de l'immobilier que d'entrepreneur, ce qui fait que certaines filières sont à la peine dès lors qu'elles n'ont pas le soutien de l'Etat, comme l'industrie qui n'a véritablement déco...

à écrit le 22/06/2023 à 12:03
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On n'a que faire de "l'innovation" sans le moindre progrès, car cela ne mène nulle part que vers un compte en banque après un petit tour en publicité ! ;-)

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