
L'exosquelette qui aide les personnes tétraplégiques à remarcher de Wandercraft, le champion des nouvelles molécules contre le cancer Qubit Pharmaceuticals, le leader européen de l'informatique quantique Pasqal, la nouvelle star de l'IA générative Mistral AI, les batteries miniatures de BeFC ou encore les nanosatellites de U-Space... Leur point commun ? Toutes ces entreprises font partie des 125 startups considérées comme stratégiques par l'Etat, que le gouvernement réunit dans un nouvel indice, le French Tech 2030.
Dans la droite lignée du Next40 ou du French Tech 120, ce nouveau programme piloté par la Mission French Tech vise à aider les meilleures innovations françaises à réaliser leur potentiel. « Comme le fait Next40, le label French Tech 2030 va nous crédibiliser en France comme à l'étranger, aux yeux des investisseurs, des talents qu'il nous faudra recruter, et vis-à-vis de nos futurs partenaires et clients dans la pharma, qui est un secteur particulièrement difficile à pénétrer pour une startup », se réjouit Robert Marino, le PDG de Qubit Pharmaceuticals, pépite parisienne qui mise sur l'informatique quantique pour simuler de nouvelles interactions entre les molécules afin de découvrir de nouveaux médicaments.
L'homme qui pilote le pivot stratégique de la French Tech pour sa deuxième décennie, Jean-Noël Barrot, se confie à La Tribune sur ses objectifs, décrit le nouveau programme, et précise sa pensée sur la place de la France et de l'Europe dans la course à l'intelligence artificielle, et l'impact du RGPD sur les entreprises de ce secteur. Entretien.
LA TRIBUNE - Vous dévoilez la composition du French Tech 2030, le nouveau programme stratégique de la Mission French Tech annoncé en février dernier par Emmanuel Macron lui-même. Après le Next40, le French Tech 120 et tous les autres indices sectoriels (HealthTech20, Green20, Agri20, DeepNum20...), à quoi sert ce nouveau programme ?
JEAN-NOËL BARROT- French Tech 2030 est un accélérateur d'innovations au service de la souveraineté technologique de la France. C'est un programme inédit pour 125 entreprises qui développent des innovations de rupture susceptibles de bouleverser de nombreux secteurs d'activités considérés comme stratégiques, comme la santé, la transition écologique, l'énergie ou encore le spatial.
Ce programme lance la deuxième décennie de la French Tech, qui fête cette année ses 10 ans. Il répond aux trois objectifs que nous avons fixés pour cette nouvelle phase. Le premier est de faire de la France une nation deeptech. Après une première décennie sous le signe de l'innovation numérique, la France doit s'appuyer sur la force de sa recherche et de son ingénierie pour maîtriser les innovations de rupture de demain : deux tiers des entreprises sélectionnées dans le French Tech 2030 exploitent des innovations de rupture. Le deuxième objectif est de démocratiser la tech, de la développer dans les territoires et de la féminiser : 30% des entreprises du French Tech 2030 sont fondées ou cofondées par des femmes. Enfin, le troisième objectif est de mettre la French Tech au service de la lutte contre le réchauffement climatique : 52% des startups du programme innovent dans ce sens.
Certaines entreprises sélectionnées font partie d'autres programmes, comme Qubit Pharmaceuticals qui est également dans le programme deeptech DeepNum20. Quels moyens supplémentaires l'Etat accorde-t-il aux entreprises du French Tech 2030 ?
Pour ces entreprises, French Tech 2030 est complémentaire, notamment car ce programme leur donne un accès facilité aux financements déployés dans le cadre du plan France 2030, via l'implication inédite du Secrétariat Général pour l'investissement (SGPI), en plus de celle de Bpifrance et de la Mission French Tech. C'est donc un accompagnement sur-mesure qui est offert à ces 125 startups stratégiques. La Mission French Tech leur propose un diagnostic de leurs besoins -enjeux réglementaires, financiers, douaniers, de recrutement, propriété intellectuelle et industrielle, visibilité internationale, autorisations administratives...- et actionne des leviers au sein de l'Etat pour dénouer leurs blocages et accélérer leur développement.
Dans quels secteurs évoluent les entreprises sélectionnées ?
38% sont des greentech et des climate tech, 20% évoluent dans la santé, 19% dans le numérique, 14% dans l'agriculture, 8% dans ce que nous appelons les « nouvelles frontières » c'est-à-dire les technologies quantiques et le spatial, et 2% dans l'éducation. Près de 7 entreprises sur 10 possèdent une usine ou ont un projet d'usine, car la tech est également un levier de réindustrialisation de la France. Le programme est renouvelable tous les ans jusqu'à 2030.
Comme je l'ai mentionné, deux tiers de toutes ces entreprises se basent sur des technologies de rupture et c'est crucial pour la France car nous avons un grand vivier d'innovations qui dorment dans les laboratoires de recherche, que nous souhaitons transformer en entreprises. L'objectif est non seulement de montrer qu'on peut valoriser les fruits de la recherche, mais surtout de donner à ces innovations la capacité de répondre aux grands défis économiques, sociétaux, industriels et climatiques des prochaines décennies.
La tech, et en particulier la deeptech, est la meilleure chance de la France de maintenir et amplifier son statut de grande puissance. On a par le passé trop souvent laissé passer des trains, l'occasion est là de passer en pôle position.
Quid de l'intelligence artificielle, dont l'arrivée à maturité pourrait rebattre les cartes de la compétitivité des entreprises ?
L'intelligence artificielle est évidemment bien représentée dans le French Tech 2030 car de plus en plus d'entreprises utilisent des briques d'IA dans leur solution. C'est une toile de fond. L'IA fait par ailleurs l'objet d'une stratégie spécifique de l'Etat et d'investissements conséquents annoncés par Emmanuel Macron depuis 2018 et encore hier à VivaTech.
Les solutions stars du marché viennent des Etats-Unis (OpenAI, Google et Meta principalement) et les 11 licornes mondiales de l'IA génératives, c'est-à-dire les startups les mieux placées pour disrupter le marché, sont toutes américaines et canadiennes, sauf une israélienne. Aucune n'est européenne. La France et l'Europe ont-elles encore raté le train ?
La levée de fonds record de 105 millions d'euros de Mistral AI, qui réunit des cerveaux qui travaillaient auparavant chez Google ou Meta mais qui ont choisi la France pour rivaliser avec les géants, montre que notre pays a des ambitions dans l'intelligence artificielle générative. Pour réussir dans ce domaine, il faut des talents, des données et de la puissance de calcul. Tout ceci est à portée de main.
L'Etat a la ferme intention d'accompagner les startups comme Mistral AI. C'est un enjeu majeur de souveraineté technologique car l'IA générative a vocation de se disséminer dans le tissu économique et social, et il est impensable que nous soyons dépendants de solutions qui seraient entre les mains de puissants intérêts extra-européens.
Justement, sur les données, vous avez déclaré lors de l'événement Tech for Future de La Tribune, en avril dernier, qu'il faudrait revenir sur certaines dispositions du RGPD pour permettre le plein développement de l'IA générative en Europe. Depuis, certains groupes d'intérêts -les Gafam, les associations professionnelles de la publicité...- appellent à affaiblir le RGPD lorsque la Commission européenne en fera un premier bilan, en 2024. Est-ce votre souhait ?
Affaiblir le RGPD n'était pas du tout mon intention. Mais la question de la compatibilité des modèles d'IA générative avec le RGPD se pose. Le RGPD peut être perçu comme un frein à l'innovation pour les entreprises européennes, en raison de la crainte de ne pas pouvoir utiliser les données dont elles auraient besoin pour nourrir les algorithmes d'apprentissage des IA génératives.
Le RGPD est un texte vivant, complexe et soumis à des interprétations. Je souhaite donc que les Cnil européennes [les autorités des données, ndlr] puissent nous éclairer le plus rapidement possible sur les principes que les développeurs doivent adopter pour que le développement de l'IA générative soit compatible avec le RGPD. En France, les acteurs engagés dans l'IA ont des échanges réguliers avec la Cnil pour déterminer les voies de passage, mais il faut que toute incertitude soit dissipée. Mon intention est de permettre aux acteurs français et européens de pouvoir développer des modèles de langage en toute légalité et conformes à l'esprit du RGPD.
L'agenda médiatique est saturé cette semaine d'annonces pour aider la tech en crise. Emmanuel Macron a annoncé hier le plan de financement Tibi 2 et des mesures pour développer l'IA, le député Paul Midy a remis son rapport avec des propositions pour le gouvernement, il y a French Tech 2030 et bientôt les mesures du French Tech Finance Partners... Quelle est la cohérence globale de toutes ces actions ?
Le but de toutes ces annonces est de faire en sorte que dans les vagues d'innovations qui arrivent, la France soit aux avant-postes. Il faut agir sur tous les tableaux : le financement avec le plan Tibi 2, les aides publiques à l'innovation avec les mesures Midy, les secteurs à développer que sont l'IA, les deeptech ou encore le métavers, l'accompagnement des startups avec le French Tech 2030, et également les débouchés commerciaux pour les startups avec l'initiative Je Choisis la French Tech, qui va développer la commande publique.
La première décennie de la French Tech a été placée sous le signe de la réplication en France du modèle d'innovation de la Silicon Valley, c'était la fameuse « startup nation » chère à Emmanuel Macron en 2017. En mettant l'accent sur les deeptech, la mixité ou les territoires pour la deuxième décennie, cherchez-vous à rompre avec cette culture américaine de la tech, plutôt mal perçue en France ?
Nous prenons un virage, oui. Ce virage s'impose car la France a démontré ces dix dernières années la puissance de son innovation numérique, logicielle, avec de nombreuses applications que les Français et les Européens, particuliers comme entreprises, utilisent au quotidien. Nous voulons continuer dans cette voie pour créer des licornes et des entreprises qui intègrent le Next40 puis le CAC40 car les emplois et la compétitivité future du pays en dépendent.
Mais nous voulons désormais aussi démontrer que la France, 400 ans après la naissance de Pascal, est capable de devenir une nation de deeptech en maîtrisant les innovations de rupture qui vont dessiner le futur et relever les grands défis de notre temps. Le monde a changé et la French Tech doit changer avec lui. Il y a aujourd'hui une perception plus fine que la tech est un levier à la fois de performance économique mais aussi de souveraineté technologique, ainsi qu'un outil dans la lutte contre le changement climatique, la réduction des inégalités et l'apaisement de nos sociétés.
Propos recueillis par Sylvain Rolland
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