Leadership de demain  : la métamorphose

OPINION. Fragilisés dans leur statut par une faillite structurelle de la confiance, mis à l'épreuve par la transformation des modes de travail et la montée en puissance d'exigences nouvelles, les dirigeants - quel que soit le cadre dans lequel leurs fonctions s'exercent - sont contraints de se réinventer. Par Frédérique Deriquehem, partner de Progress Associés
(Crédits : Pixabay / CC)

À l'approche de l'élection présidentielle, ce moment par excellence de sélection en France du leader du pays, chacun se questionne sur les qualités les plus adaptées au contexte actuel, complexe et mouvant.

S'il est probable que l'art du commandement, de l'organisation et de l'influence ait peu évolué, tout indique qu'en quelques dizaines d'années, la figure du leader prend de nouveaux traits, comme le souligne la nouvelle génération de dirigeantes et dirigeants interrogée dans une étude menée par le cabinet Progress Associés et l'Institut Choiseul*.

Hier encore, elle se confondait avec le « patron », l'incarnation du chef dans un monde vertical et hiérarchisé. Figure d'autorité, généralement masculine, il était synonyme de force et d'énergie. Cette forme de domination dans un monde économique globalement stable et structuré, différencié en strates sociales marquées et en métier définis, est moins opérante aujourd'hui...

En quoi se distinguent-ils, dans leur vision et dans l'exercice de leur pouvoir, des leaders qui les ont précédés ? À quels nouveaux défis sont-ils confrontés et quelles sont les qualités nécessaires pour les relever ?

Un cadre moins lisible qui impose l'émergence de dirigeants plus agiles

Le contexte économique s'est complexifié en raison d'un changement d'échelle lié à la globalisation, au développement de la transparence dans nos sociétés, à l'immédiateté générée par le développement du numérique et à la diversité croissante des demandes sociales. Il est devenu volatile, complexe, imprévisible. De nouvelles technologies et des usages inédits émergent, offrant des opportunités majeures à celles et ceux capables de les canaliser et réduisant à une faillite irrémédiable des entreprises pourtant réputées indestructibles.

Le besoin de réalisation des individus les rend particulièrement attentifs à la personne qu'ils pourraient suivre. Puisque l'activité professionnelle n'est plus considérée comme un simple travail, le sens qui peut être donné à chaque engagement gagne en importance. Dans des sociétés fragmentées et en recomposition, des aspirations nouvelles, parfois contradictoires, se généralisent et imposent aux entreprises de prendre position dans le champ politique et social. Finalement, l'entreprise ne se cantonne plus à la stricte définition du maître de l'école de Chicago Milton Friedman, elle ne se réduit plus à la maximisation des cash flows : la situation impose à ses dirigeants d'endosser une responsabilité élargie, car l'échiquier n'est plus seulement économique, il est aussi sociétal et politique, voire géopolitique.

Le directeur est mort ! Vive le leader !

La mission du dirigeant en est complexifiée certes, elle est en même temps encore plus passionnante ! Quelles qualités lui faut-il ? C'est ici que la notion de leadership devient fondamentale. Diriger ne suffit plus. Il faut un leader, celui qui conduit les autres ; on pourrait dire un « meneur » qui conduit l'autre vers une destination en y allant lui-même. Le leadership est alors lié au pouvoir tel que le définit Hannah Arendt dans la Condition de l'homme moderne : une sorte de mise en harmonie d'un groupe de personnes qui se réalise quand la parole et les faits coïncident. Ce pouvoir l'emporte in fine sur la force, peut-être plus efficace, mais coercitive et donc moins puissante. C'est volontairement que chaque individualité se coordonne avec les autres pour prendre conjointement une direction. Le leadership est donc l'addition de la capacité à identifier une telle direction et à influencer le groupe afin qu'il l'emprunte.

La part belle aux compétences cognitives et émotionnelles plus qu'à l'autorité

Dans un environnement dans lequel il faut aligner verticalité et horizontalité, le « top-down » et le participatif, on attend du leader qu'il convainque et inspire plus qu'il soit autoritaire ; on le suit pour ce qu'il est et ce qu'il fait. Dans les récits mythologiques actuels magnifiant la figure de l'entrepreneur, le leader exprime une forme de liberté et de générosité, à rebours des figures autoritaires du leadership traditionnel : il ne craint pas de sortir des sentiers battus et d'inviter les autres à le suivre. Il transforme l'incertitude en opportunité. Humble, il sait apprendre et se remettre en question, car il n'est pas propriétaire d'un statut : le leadership est davantage une énergie qu'il faut en permanence insuffler, une influence à renouveler, toujours fragile susceptible de disparaître.

Enfin, le leader doit faire preuve de « self-leadership », c'est-à-dire qu'il doit savoir se connaître lui-même, se comprendre, afin de progresser. Il ne peut pas avoir réponse à tout - il n'y prétend pas - mais sait écouter, s'entourer, se faire aider. En retour, il est aussi un mentor pour son entourage : il explique et conseille, il encourage et accompagne le changement.

Finalement, le leadership suppose aujourd'hui une combinaison élaborée de compétences cognitives et émotionnelles. S'il était autrefois principalement incarné par des hommes, de plus en plus de femmes sont aujourd'hui des leaders marquants pour l'économie et la société.

Ce « meneur » capable de faire la synthèse entre les nombreuses injonctions contradictoires qui composent notre contemporain - guider tout en écoutant, décider dans l'incertitude, penser et exécuter, être résolu tout en sachant s'adapter - ne manque pas d'occasions d'exercer son talent. Le Covid est passé par là ; la crise sanitaire a accéléré des évolutions d'usage déjà en cours et les a radicalisées. Le télétravail s'est généralisé. Les aspirations ont évolué, dans un contexte interculturel accru, et la nouvelle génération dite Z a étudié et débuté sa vie professionnelle dans un cadre de télétravail. 

Comprendre ces évolutions et en tirer les plus belles opportunités conditionnera le rayonnement des leaders d'aujourd'hui et de demain.

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(*) Etude Progress Associés/Institut Choiseul sur le leadership de demain, 400 dirigeants, été 2021.

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Commentaire 1
à écrit le 14/12/2021 à 9:52
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Comme je dis souvent cela me rappelle cette tentative vertueuse d'intégrer de l'intelligence économique au sein de la gestion des entreprises mais hélas, les banquiers, les comptables et les avocats fiscalistes ont remporté la mise et cette belle ini...

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