Marchés : circulez, y'a rien à voir !

CHRONIQUE. Malgré une succession de mauvaises nouvelles en quelques jours, les marchés restent relativement zen. Peut - être est – l’effet de sidération, ou bien l’aveuglement, ou plutôt l’intime conviction que « ça va bien se passer ». Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : SIMON DAWSON)

« Rien à signaler... circulez y'a rien à voir ». Malgré une actualité pilonnée par de mauvaises nouvelles, l'investisseur a tout juste accusé réception :  - 2,5 % seulement pour les marchés d'actions depuis 10 jours, et toujours en hausse de plus de 14 % depuis le début de l'année. Pourtant, il y avait du lourd. Dans l'ordre, des Banques centrales qui montrent leurs muscles, Prigogine qui montre les siens, et des indicateurs avancés qui reculent, le tout en 10 jours à peine. Il n'y a pas si longtemps de telles infortunes auraient provoqué bien plus qu'un pet foireux de la finance de marché. Pas cette fois.

L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre

Baudelaire

Il existe 3 thèses susceptibles de justifier une telle résilience de la finance. La gifle, le déni, et l'intime conviction.

La gifle

La thèse de la gifle propose d'expliquer le quasi - mutisme de l'investisseur par l'effet surprise produit sur la victime. Plus que de la douleur, c'est la sidération qui prévaut, celle qui laisse le destinataire de la gifle ébaubi. Il s'agit véritablement d'une surprise qui suspend le temps, et diffère toute réaction rationnelle. Une surprise que l'on peut décliner en 3 actes.

Qui aurait pu prévoir que les Banques centrales allaient se montrer aussi vindicatives, alors que l'inflation montrait enfin des signes d'apaisement ? Qui aurait pu prévoir que Evgueny Prigogine allait semer la pagaille, mais chez lui ? Peut-être le recul des indicateurs avancés semblait la prévision la moins farfelue, quoi que le recul observé interroge, surtout en zone euro.

« Il faut dire que le marché l'a bien cherché avec sa tête à claques ; une bonne gifle, voilà ce qu'il mérite !» aléa rancunier. Vu sous cet angle, si l'actualité a ainsi été pilonnée par des évènements hostiles, cela pourrait être salutaire pour les marchés. Il s'agirait de rappeler à l'investisseur que l'appétit pour le risque dont il témoigne depuis le début de l'année repose sur des bases bien fragiles, et qu'il est temps de modérer ses ardeurs.

Le déni

La thèse du déni suppose que l'investisseur préfère se boucher les oreilles et se couvrir les yeux, plutôt que de se voir imposer un réel qui ne lui convient pas. L'investisseur ne nie pas les vents contraires, il préfère juste rester chez lui et fermer les volets. Il s'agit d'un déni du réel, qui n'est pas jugé conforme aux attentes. Le réel est prié d'aller revoir sa copie. C'est exactement la thèse proposée par le philosophe hors catégorie Clément Rosset dans « Le réel et son double ».

Effectivement, l'hostilité des évènements récents ne colle pas aux perspectives chatoyantes que l'investisseur prête à son horizon d'investissement. On parlait alors d'un combo des marchés qui sembla plus favorable. Or, toutes ces mauvaises nouvelles en si peu de temps. C'était trop. Impossible d'accepter une telle version du réel, tellement différente de celle fantasmée. Alors on refoule.

Quand l'œil vient à plonger dans un abîme, on a le vertige, ce qui vient autant de l'œil que de l'abîme, car on aurait pu ne pas regarder, Søren Kierkegaard.

Il suffit donc de ne pas regarder.

L'intime conviction

Probablement la thèse qui remporte le plus de suffrages. Cette thèse propose que les faits survenus récemment ne constituent pas un faisceau d'indices convaincant pour l'investisseur qui voit la vie en rose. Juste des aléas produits par un Ball trap hostile, mais dont le tireur de la finance saura écourter le vol à coups de bonnes nouvelles à venir. En clair, il faut faire le dos rond, serrer les fesses, et laisser le temps nécessaire au scénario désirable afin qu'il se réalise.

Il ne s'agit pas de refouler le réel, mais de lui accorder la juste attention qu'il mérite. L'investisseur « subordonne toujours ses ambitions au réalisme de l'expérience » (Nicolas Grimaldi), mais l'expérience récente ne lui parait pas concluante. Les investisseurs se mettent alors en mode d'aversion pour le risque, modéré, sans paniquer, sans qu'aucune pagaille ne soit observée en termes de performances. Cette dernière remarque fait référence à ces épisodes d'aversion pour le risque exubérante, où les investisseurs se mettent à vendre tout ce qui est susceptible de baisser, sans aucune autre considération. Là, ce n'est clairement pas ce qui est observé.

La dispersion des performances sectorielles ou de style de gestion ne révèle pas de quelconque anomalie. La panique se passe en bonne intelligence pourrait - on dire. D'un point de vue des valorisations, on observe à peine un écartement des primes de risque exigées par les investisseurs sur les marchés d'actions et du crédit, signe que les investisseurs sont à peine plus réticents à détenir des actifs risqués plutôt que des actifs sans risque. Autre témoignage, la volatilité implicite des marchés, indicateur synthétisant au plus près les angoisses de l'investisseur, reste sur des niveaux extrêmement faibles. Enfin, dernier signe que les investisseurs ne sont ni obtus, ni aveugles, ni tétanisés, mais lucides : les taux d'intérêt de maturité courte ont bien remonté, en cohérence avec le message agressif des Banques centrales ; mais les taux d'intérêt de plus longue maturité sont presque restés de marbre, anticipant un horizon moins hostile en termes de politique monétaire.

Aujourd'hui, il semblerait que l'investisseur pratique une forme de raisonnement concessif consistant à feindre la validité des arguments adverses, « les nouvelles ne sont pas bonnes, certes », mais sans que cela ne remette en cause l'intime conviction que « ça va bien se passer ». L'histoire nous rappelle que la nuance entre l'investisseur serein ou exubérant est assez subtile en vérité. Cette nuance dépend autant de la contingence des évènements à suivre que de la réaction des politiques. À suivre donc.

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Commentaires 2
à écrit le 28/06/2023 à 14:11
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"il semblerait que l'investisseur pratique une forme de raisonnement " Je suis surpris de ce propos de la part d'un journaliste d'un journal économique alors même que le lecteur lambda que je suis crois avoir compris que la bourse suivait sa propre ...

à écrit le 28/06/2023 à 7:50
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100 personnes qui possèdent plus de la moitié du monde permet de générer en eux la certitude qu'ils le contrôleront toujours ce monde et comme ils vivent pour se rassurer tout va bien les bien trop gros deviennent toujours plus gros. "Partout où quel...

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