Opioïdes : l’Amérique en overdose

OPINION. Aux Etats-Unis, la FDA vient d'autoriser la vente libre de Narcan®, un spray nasal contenant de la naloxone, l'antidote miracle qui permet de stopper une overdose d'opioïdes, en attendant l'arrivée des secours. Dernière mesure en date des autorités fédérales qui tentent désespérément de mettre fin à la crise des opioïdes qui déferle sur le pays depuis une trentaine d'années. Par Alexis Dussol, fondateur et PDG d’Adexsol.
Alexis Dussol.
Alexis Dussol. (Crédits : DR)

L'objectif est de mettre fin aux taux alarmants de décès liés à la consommation d'opioïdes. Plus de 564.000 Américains sont morts d'une overdose entre 1999 et 2020. La courbe s'est même accélérée avec la pandémie du Covid-19 avec un nouveau record de 108.000 décès en 2021. C'est la plus grave crise de santé publique de l'histoire des Etats-Unis. 
Les opioïdes sont, soit des substances illicites (héroïne, opioïdes de synthèse, etc.) utilisées dans des contextes récréatifs ou d'addiction, soit des substances actives utilisées en tant que médicaments dans la prise en charge de la douleur ou les traitements de substitution aux opioïdes. Ces médicaments peuvent quelques fois être détournés de leur usage médical par des personnes souffrant d'addiction. De manière générale, les opioïdes peuvent entrainer une dépendance physique élevée et des troubles de l'usage, avec des conséquences pouvant aller à la surdose, voire au décès par arrêt respiratoire.

Morts sur ordonnance

La crise a démarré aux Etats-Unis dans les années 1990 lorsque la prescription des opioïdes, autrefois réservée au traitement des cancers en phase terminale, a été élargie à tous les types de douleurs chroniques. Pour beaucoup, le début de l'épidémie date de la mise sur le marché en 1996, à grand renfort de publicité mensongère, de l'OxyContin, qui a rapporté des milliards de dollars à son fabricant PerduePharma. Les prescriptions ont explosé. De 1997 à 2002, leur nombre est passé de 670.000 à 6,2 millions. Les « usines à pilules », des cliniques à la prescription facile, se sont multipliées à travers le pays.

Cet élargissement de la prescription s'est accompagné chez les personnes devenues dépendantes, d'une augmentation de l'usage non médical d'opioïdes d'ordonnance et d'un recours à des produits plus forts et plus dangereux comme l'héroïne ou les opioïdes de synthèse sur le marché noir. La crise a donné lieu à une kyrielle de condamnations contre tous ceux qui ont profité de la crise : entreprises pharmaceutiques, distributeurs et grossistes, grandes chaînes de pharmacies, médecins peu scrupuleux. Le géant du conseil McKinsey a même été condamné pour ses conseils aux fabricants de médicaments.

Les prescriptions d'analgésiques opioïdes ont chuté à partir de 2011 pour revenir à des niveaux antérieurs à la crise en raison de nouvelles règles de prescription et d'un meilleur contrôle des médecins, avec, pour effets pervers, une augmentation des suicides et un recours accru à des drogues illicites et en particulier au fentanyl de rue.

Le fentanyl : le tueur de Prince

Une part croissante des décès provient désormais de cet opioïde de synthèse 50 fois plus puissant que l'héroïne et 100 fois plus puissant que la morphine. La dose mortelle est de 2 mg soit 4 grains de sel ! Sur les 107.622 décès par surdose de drogue aux Etats-Unis en 2021, 66 % étaient liés à des opioïdes synthétiques comme le fentanyl. Le cas le plus emblématique est celui du chanteur Prince mort d'une overdose en 2019. Il est d'autant plus dangereux qu'il est souvent mélangé à d'autres drogues et consommé de manière involontaire.

Utilisé depuis les années soixante en anesthésie, le Fentanyl est devenu une drogue de rue abondante et bon marché venue, au départ, de Chine. Pékin ayant durci sa surveillance sous la pression américaine, les cartels mexicains ont pris le relais et des quantités croissantes fabriquées au Mexique avec des matières premières venant de Chine, traversent maintenant la frontière en contrebande. La situation est telle que Washington vient d'appeler à une mobilisation mondiale comme pour le Covid-19

La France épargnée ?

La France est-elle à l'abri ? Même si la mortalité par surdose a augmenté ces dernières années, les chiffres hexagonaux n'ont rien de comparables avec les statistiques américaines. La France dispose a priori de plusieurs garde-fous. Son atout principal réside dans l'existence, depuis 1990, de 13 centres d'addicto-vigilance chargés de repérer le plus tôt possible les signaux d'alerte. De plus, la publicité pour les médicaments sur ordonnance y est interdite et la prescription de stupéfiants et spécialités apparentées doit se faire sur ordonnance sécurisée. La naloxone se présente sous ses deux formes : injection intramusculaire et spray nasal est disponible en pharmacie de ville, sans ordonnance pour la première.

Pour autant, la vigilance doit être de mise. Selon une étude publiée en 2023 par une équipe française (1), la France fait partie du groupe présentant le risque le plus élevé pour les opioïdes oxycodone, fentanyl, morphine, tramadol et codéine. Il faut rappeler que le risque ne se limite pas aux opioïdes forts. Il concerne également les opiacées dits faibles qui ne sont pas considérés comme des stupéfiants et sur lesquels des signaux d'alerte se multiplient.

Dans ce débat, ne perdons pas de vue l'apport médical des opioïdes et, en aucun cas, la lutte contre le trafic ou le mésusage ne doit l'emporter sur l'obligation éthique de soulager la douleur d'un patient. C'est une juste balance qu'il faut trouver.

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(1) The opioid epidemic : A worlwide exploratory study using the WHO pharmacovigilance database-Addiction, volume 118, n°4.

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Commentaire 1
à écrit le 19/04/2023 à 19:32
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On ne peut que constater la décadence d'un empire axé sur la liberté individuelle sans borne !

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