Osons l'industrialisation pour multiplier les rénovations énergétiques plus ambitieuses

Nous ne pouvons plus nous permettre de choisir entre faire peu de rénovations lourdes ou beaucoup de rénovations légères : il est temps de démocratiser l'accès aux travaux de rénovation énergétique lourde. Par Sébastien Delpont, directeur associé de GreenFlex, et manager du programme EnergieSprong France.
Tout le défi de la rénovation énergétique est aujourd'hui de passer de la haute couture au prêt-à-porter, d'industrialiser des solutions pour les démocratiser. Huit millions de passoires thermiques attendent qu'on les rhabille. Avec les maquettes numériques, les scan 3D et les capacités de mass-customisation, il est maintenant possible de réussir une industrialisation sans uniformisation.

A l'heure où la fondation Abbé Pierre rappelle que 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique, il est temps de changer de braquet en termes de rénovation énergétique des logements. Le gouvernement vient d'ailleurs de réaffirmer son ambition en la matière, appuyant le besoin de massifier la rénovation des passoires thermiques grâce à l'industrialisation.

Nous ne pouvons plus nous permettre de choisir entre faire peu de rénovations lourdes ou beaucoup de rénovations légères : il est temps de démocratiser l'accès aux travaux de rénovation énergétique lourde. Personne ne peut sérieusement s'opposer à ce constat. Or l'industrialisation des procédés peut nous permettre de baisser les coûts tout en améliorant la performance des rénovations et sans pour autant uniformiser l'architecture. Alors que l'on parle de 3e révolution industrielle, d'industrie 4.0, pourquoi faudrait-il que le secteur regarde ce train passer sans y monter ?

Passer de la haute couture au prêt-à-porter

Cessons d'en faire un tabou, la filière a besoin d'une industrialisation, même si elle a une relation compliquée avec celle-ci. Elle date des Trente Glorieuses, lorsqu'il a fallu reconstruire la France, mais on retient surtout de l'industrialisation qu'elle a enfanté les grands ensembles aux qualités techniques et architecturales contestées. Elle est vue comme une solution pour construire des bâtiments neufs mais pas pour rénover. Chaque rénovation, notamment énergétique, est traitée comme un prototype, un concentré d'ingénierie repensé pour chaque ouvrage. C'est de la haute couture avec ses forces : qualités de conception et d'exécution, mais aussi ses faiblesses : prix élevés et délais longs.

Tout le défi de la rénovation énergétique est aujourd'hui de passer de la haute couture au prêt-à-porter, d'industrialiser des solutions pour les démocratiser. Huit millions de passoires thermiques attendent qu'on les rhabille. Avec les maquettes numériques, les scan 3D et les capacités de mass-customisation, il est maintenant possible de réussir une industrialisation sans uniformisation. De la diversité architecturale va pouvoir être recréée là où elle était absente.

Passer d'une logique projet à une logique produit

A 1.000 logements rénovés pourront correspondre 1000 façades différentes, mais 1.000 systèmes techniques identiques. L'industrialisation de la construction passe par deux objectifs : faire venir le chantier à l'usine et préfabriquer des blocs constructifs ou faire venir l'usine sur le chantier et y pratiquer des méthodes lean. Il n'y a pas à choisir, les deux sont nécessaires pour gagner en délais, qualité et coûts. Il faut passer d'une logique projet à une logique produit : investir davantage en R&D, en outils, en méthodes et amortir ces coûts non pas sur le premier bâtiment mais sur les 100 ou 1000 suivants.

Le secteur du BTP investit 20 fois moins en R&D que le reste de l'industrie, et sa productivité n'a pas bougé en 25 ans alors qu'elle a bondit de 60% dans l'industrie. Cette industrialisation, nécessaire et inévitable, suit l'évolution naturelle de toute filière en développement : gagner en qualité et en délais, baisser les coûts, passer d'une culture de moyens à des garanties de résultats, et ainsi permettre le développement d'une demande beaucoup plus forte. Si les acteurs actuels de la filière, grands groupes ou PME, ne s'y mettent pas, de nouveaux entrants s'y engouffreront.

A quoi ressemblera la filière rénovation dans dix ans ?

Tous sentent venir cette évolution, accélérée par des ruptures technologiques sur les modes constructifs et l'arrivée du numérique. Mais cette industrialisation fait peur dans un secteur très atomisé - 93% d'entreprises de moins de 10 salariés font 88% du CA du secteur - et qui n'est que peu structuré autour d'organisations coopératives comme on en retrouve dans le commerce ou l'agriculture.

A quoi ressemblera, dans 10 ans, le visage d'une filière de la rénovation plus industrialisée, notamment pour les PME du bâtiment ? Un avenir certainement prometteur pour certaines et moins pour d'autres, selon la manière dont elles se seront positionnées. Dans l'automobile, ce ne sont pas des garagistes indépendants qui construisent les véhicules mais ils sont toujours des acteurs déterminants de la commercialisation et de l'entretien de ceux-ci.

Dynamique collective, numérisation, industrialisation... clés du succès

Le succès passera par le fait d'inscrire ces initiatives entrepreneuriales dans une dynamique collective : l'approche EnergieSprong aux Pays-Bas en est une belle illustration. En 5 ans a été réussie une évolution spectaculaire de l'industrialisation des rénovations énergétiques dans le logement (social puis privé) : baisse des coûts de 50%, garantie de performance énergétique de 30 ans à un niveau énergie zéro, travaux réalisés en 1 semaine et autofinancement des opérations sans subventions publiques.

Le succès de cette initiative s'est fait grâce aux PME et non contre elles ; elle a créé de nombreux emplois locaux, ces dépenses en travaux de rénovation étant nettement plus créatrices d'emplois (5 à 10 fois plus) que les dépenses en énergie qu'elles remplacent...

Se numériser et s'industrialiser : une belle évolution s'annonce pour la filière française de la rénovation énergétique. Un avenir prometteur s'ouvre à ceux qui s'y aventureront, avec à la clé une utilité sociale, économique et environnementale que peu de projets industriels peuvent revendiquer aussi fortement. Rejoignez le mouvement !

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Sébastien Delpont, directeur associé de GreenFlex, et manager du programme EnergieSprong France

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