PSA-FCA  : la nouvelle affaire Alstom-Siemens  ?

OPINION. La fusion entre FCA et PSA vise à renforcer leur position sur le segment des SUL et à amorcer à moindres frais le virage écologique de leur technologie. Mais le contrôle de ce rapprochement industriel par la Commission européenne peut-il désavantager les deux géants du secteur automobile, déjà mis à rude épreuve par la crise sanitaire et talonnés par la montée en gamme des acteurs asiatiques ? Par Edouard Barreiro, docteur en sciences économiques, et Frédéric Marty, du CNRS-GREDEG-Université Côte d’Azur. (1)
PSA doit massivement investir pour réussir le virage électrique de ces gammes. (DR)

La politique de concurrence peut-elle aller à l'encontre de la compétitivité de l'industrie européenne en faisant obstacle à des rapprochements ? Les entreprises ont-elles raison de ne pas proposer des mesures correctives à même de répondre aux préoccupations de concurrence de la Commission, au risque de voir in fine l'opération refusée ? Ces deux questions qui avaient été centrales dans l'affaire du rapprochement franco-allemand entre Alstom et Siemens risquent d'être à nouveau au cœur du débat public avec le rapprochement franco-italien entre PSA et FCA.

Celui-ci, déjà dans l'incertitude du fait des impacts de la crise sanitaire, fait désormais l'objet d'une nouvelle hypothèque bien plus prévisible que la première. Il s'agit d'une enquête approfondie de la Commission européenne au titre du contrôle des concentrations. La fusion entre PSA et FCA est une fusion horizontale, c'est-à-dire entre concurrents directs sur le même marché pertinent, qui pourrait conduire à un renforcement d'une position dominante sur un segment de marché bien précis : celui des véhicules utilitaires légers.

Si la fusion donnerait le quatrième producteur mondial, la part de marché du nouveau groupe sur le marché européen des VUL, serait exceptionnellement élevée.

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Les compétiteurs asiatiques à l'affût

Si pour rendre la fusion acceptable au point de vue concurrentiel, le nouveau groupe devait proposer des mesures correctives comportementales ou individuelles, cela donnerait une situation inédite dans un secteur fortement touché par la crise et qui pourrait conduire à des enjeux encore plus surprenants que dans le cas Alstom-Siemens.

En effet, tout le paradoxe de l'affaire tient au fait que les deux groupes coopèrent étroitement dans le domaine visé et que des remèdes pourraient affaiblir des complémentarités existantes voire paradoxalement favoriser l'entrée de compétiteurs asiatiques redoutables. Pour autant, le projet de fusion fait sens en termes de mutualisation des investissements et de développement d'indispensables innovations.
Sur le marché des utilitaires légers (moins de 3,5 t), PSA est le leader européen avec 496 000 véhicules vendus en 2018. Le suivant est Ford avec 331 000 puis viennent Renault (313 000 auquel on pourrait ajouter les 59 000 ventes de Nissan), Volkswagen (247 000) et Fiat (234 000). Les coréens (en l'espèce Hyundai et Kia) ne représentent que 5 000 ventes.

Economies d'échelle et complémentarité

La fusion PSA (Peugeot, Citroën, DS, Opel) / FCA (Fiat, Chrysler, Jeep, Alfa Romeo) dans son ensemble vise, quel que soit le sous-segment considéré, à dégager des gains d'efficience en mutualisant les plateformes et en amortissant plus aisément les investissements dans les motorisations, notamment dans une perspective de transition écologique. Les économies d'échelle ne sont pas la seule motivation de ce rapprochement. Jouent aussi des recherches de complémentarité. FCA détient avec Jeep de fortes positions en Amérique du Nord et une position très forte sur le marché des véhicules tout-terrain : zone géographique et segment de marché pour lesquels PSA est quasiment absent. FCA détient également un portefeuille de marques prestigieuses qui manquent au groupe PSA. Pour FCA, la fusion est également essentielle pour compenser le grave recul de ses parts de marché en Europe, sa trop forte dépendance à un seul modèle (la Fiat 500) et son retard dans les motorisations électriques ou hybrides.

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Dans le sous-segment des véhicules utilitaires légers, ces complémentarités se croisent avec de fortes redondances. Non seulement Fiat y demeure très présent, mais... y coopère de longue date avec PSA et Opel. Cette situation est d'autant plus spécifique que la défense de l'opération de concentration sur la base de l'efficience doit mettre en avant des gains qui sont spécifiques à l'opération de concentration et qui ne pourraient pas être obtenus par des voies alternatives qui poseraient de moindres problèmes de concurrence... voies parmi lesquelles figurent la coopération.

Quels pourraient donc être les conséquences d'une enquête approfondie ? D'abord, elle pourrait se traduire par des délais additionnels pour une opération déjà décalée par la crise sanitaire. Ensuite, elle peut donner lieu à d'éventuels remèdes comportementaux qui pourraient obérer la liberté stratégique du nouvel ensemble et être d'autant plus préjudiciables que le secteur est gravement touché par la crise. Enfin, à l'extrême elle peut supposer des remèdes structurels, c'est-à-dire des cessions d'actifs. Ceux-ci pourraient être d'autant plus coûteux que la crise pèse sur leur valorisation et qu'ils pourraient favoriser la montée en puissance d'acteurs encore très peu présents sur le marché : les coréens mais aussi les chinois.

Réussir le virage de l'électrification

Cette possible montée en puissance de nouveaux acteurs est paradoxalement l'une des explications de la fusion. Des groupes comme PSA sont pris en ciseau entre la montée en puissance des firmes asiatiques, qui érodent leurs marges, et les investissements nécessaires à l'électrification des véhicules. Or, dans le domaine des hybrides et des électriques qu'il s'agisse des véhicules pour particuliers ou des véhicules utilitaires légers, les volumes produits par les constructeurs coréens et surtout chinois leur donneront à court terme un avantage majeur.

Alors que les véhicules utilitaires légers sont un segment de marché encore dominé par les constructeurs traditionnels, ces derniers savent qu'ils doivent s'engager à la fois dans une course aux volumes et aux investissements pour pouvoir passer le virage de l'électrification. Ce rapprochement consacre donc des coopérations nouées de longue date. Il est essentiel à la survie de FCA sur le marché européen en regard des réglementations environnementales : n'oublions pas que FCA doit acquérir des crédits CO2 auprès de Tesla pour se conformer aux exigences européennes !

Cependant, deux questions demeurent. La première est celle de l'évaluation de la dominance du nouvel ensemble. Les véhicules utilitaires légers ne représente que 2 millions de ventes en 2019 pour 15,8 millions de voitures vendues au total sur le marché européen, lequel pèse de moins en moins par rapport au marché asiatique (plus de 100 millions de ventes). De la même façon, bien que dominant, le nouveau groupe est loin du monopole : sa part de marché serait de 34 %. La dominance serait donc relative sur un marché pertinent étroitement défini... et surtout faiblement protégé par rapport à de nouveaux entrants.

Une concurrence redoutable à court terme

Cela nous conduit à notre seconde question : doit-on raisonner seulement sur les concurrents déjà présents sur le marché ou prendre en compte le renforcement inexorable des coréens et l'arrivée imminente des constructeurs chinois ? Comme nous le voyons avec les SUV électriques (sous le logo anglais de MG), le développement de Polestar (via Volvo) et les projets « anti-Tesla » avec XPeng, les opérateurs chinois sont loin d'être en retard au point de vue technique. La maîtrise des technologies et les économies d'échelle réalisées sur les marchés asiatiques en font des concurrents redoutables... à très court terme dans le temps industriel. Or le temps concurrentiel peut être en décalage avec ce dernier : à la fois en matière de procédures mais aussi en matière d'horizon temporel dans l'appréciation des effets des opérations de concentrations.

Comme le notaient Anne Perrot et Victor Blonde dans leur éditorial de la revue Concurrences, de septembre 2019, intitulé La politique de concurrence et les intérêts stratégiques de l'Union européenne :

« [...] Ce contrôle s'exerce dans le cadre d'un horizon temporel limité à deux ou trois ans, tandis que celui envisagé par les entreprises est généralement plus long et alors que l'arrivée sur le marché intérieur de concurrents extra-européens, quoique non objectivable à courte échéance, est vraisemblable à moyen terme [...] »

Lire aussi : «L'Europe doit accompagner la transformation de son industrie automobile»

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[1] Les auteurs s'expriment en leurs noms propres et n'engagent pas les entreprises et institutions auxquelles ils appartiennent

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Commentaires 5
à écrit le 17/06/2020 à 21:04
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FCA PSA devraient céder Lancia a Renault qui pourrait se renforcer en Europe !

à écrit le 17/06/2020 à 14:07
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Tout véhicule qui arrive sur le marché européen, lesté de dumping social et écologiquement irresponsable devrait être taxé de façon à ce que la concurrence soit respectée. Un véhicule construit en Chine avec des salaires Chinois, de l'énergie au char...

à écrit le 17/06/2020 à 12:32
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De quoi j'me mêle ? Quand l'état touche à l'industrie, il la casse !

à écrit le 17/06/2020 à 12:13
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Comme je l'avais précisé ds un commentaire sur un précédent article sur ce sujet, l'appréciation de la position dominante d'un groupe automobile sur un segment doit être mondiale et non pas continentale ou pire regionale. La concurrence ds le secteu...

le 20/06/2020 à 3:18
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C'est trop tard. L 'Asie va vous bouffer

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