Quand sonne l’heure de la retraite démocratique

ANALYSE. L’affrontement social de ce début d’année 2023 déborde largement la seule question de réforme des retraites : il interroge la place d’un président pris en étau entre l’opposition et la rue. Par Claude Patriat, Université de Bourgogne – UBFC
(Crédits : BENOIT TESSIER)

Retraite, retraite, le mot est partout, il vole de tweet en tweet, de manifestation en émission, de motion en émotion. Jamais son usage n'a autant joué de son ambivalence : retraiter, en effet signifie soit mettre à la retraite, soit traiter de nouveau.

L'affrontement semble se résumer à d'une part un président qui, soucieux en même temps d'affirmer sa capacité réformatrice et de prouver la crédibilité de la France à réduire son endettement, défie opinion publique, partis et syndicats ; d'autre part, une opposition disparate dans sa coalition, sans convergence possible entre RN, LR et Nupes mais hostile par principe à Emmanuel Macron.

En fait, par le moment où il se joue, par le cadre politique où il se déroule, par le système communicationnel qui le met en branle, l'affrontement social déborde largement cette seule question de réforme du temps de vie au travail : il met en face à face l'État et la société, et interroge le rapport des citoyens au pouvoir politique.

La fin de l'insouciance

La matière même de la retraite détient un potentiel aussi diversifié qu'explosif : placé à la charnière de la vie privée, dont elle couvre une part du projet individuel de vie, et de la vie publique, dont elle exprime le sens solidaire, elle mobilise la question de l'être ensemble et de l'acceptation des contraintes collectives, en même temps qu'elle interroge sur le sens du travail. Qu'on ne s'étonne pas, dès lors, de la dimension totémique que prend le débat.

L'été dernier, en préambule de son Conseil des ministres après sa réélection, Emmanuel Macron avait entendu placer la barre à un niveau élevé : il avait proclamé la fin de l'insouciance et de l'abondance, tout en annonçant l'appel à un effort collectif.

Or, c'est précisément là que la volonté présidentielle entre en percussion avec le climat social dominant : s'appuyant sur un constat des inégalités, et un rappel des efforts déjà fournis, il y a un sentiment largement partagé de refus d'une demande estimée injuste : ce serait aux riches, et à eux seuls, qu'il faut demander de fournir un effort.

Cet égalitarisme de principe reçoit le renfort de toute l'opposition de gauche : la Nupes conteste le droit du président à demander un effort coûteux, au motif qu'il n'aurait pas été élu pour cela. On fait circuler l'argument de la non-légitimité : si Emmanuel Macron rassemble effectivement 58,55 % au second tour, c'est en raison d'un vote de refus de Marine Le Pen mélangeant partisans et adversaires du président, et non par adhésion à son programme. Son véritable score serait ainsi composé des 27,8 % obtenus au premier tour. Il ne disposerait donc pas de la légitimité nécessaire pour imposer des décisions rejetées par une large part de ses électeurs. Et voici l'élection-reine transformée en plébiscite négatif...

Trompe-l'œil électoral

Cette manière de sophisme se redéploie en plus caricaturale au niveau du Parlement : là, le scrutin est pourtant sans aucune ambiguïté, car il ne s'agit plus d'un vote de refus, chacun pouvant défendre ses couleurs propres. De plus, les élections législatives se sont déroulées deux mois après la présidentielle, laissant un espace de dédit éventuel.

Or, la majorité des électeurs a plutôt choisi de confirmer son choix d'avril en se portant sur Renaissance et les mouvements qui soutenaient le président. Certes, le soutien est nuancé, la majorité n'étant que relative et, dans le cadre d'un scrutin marqué par une très forte abstention, le vote exprime un ersatz de proportionnelle. Voilà qui résonne comme une invitation à l'ouverture. Encore faudrait-il que les minorités acceptent le jeu du compromis. Ce qui, à l'exception des Républicains qui jouent une participation stratégique délicate, n'est pas à l'ordre du jour. Pour l'heure, sauf à envisager une improbable symbiose Nupes, RN, LR, il n'existe pas de majorité alternative à la majorité présidentielle.

Pareille insistance à opposer majorité légale et majorité légitime entretient un procès en illégitimité contre Emmanuel Macron et affaiblit d'autant son autorité. Décidément,son second baptême élyséen n'aura pas permis d'effacer son péché originel.

Refuge dans leurs bastions locaux

Les vieux partis de gouvernement qu'il a balayés de la compétition présidentielle trouvent refuge dans leurs bastions locaux, créant ainsi l'image d'une France à deux vitesses.

La création de la Nupes, emmenée par la France insoumise en position de force, est venue rigidifier encore plus le système, qui évolue désormais en trois blocs : l'un à cheval entre l'extrême droite et la droite, l'autre entre l'extrême-gauche et la gauche, encadrant toutes deux un bloc central à qui on refuse toute ouverture. Voilà la majorité présidentielle encerclée et contrainte de se retourner vers la droite, nourrissant l'image d'un président « des riches et des favorisés ».

Ce qui rend crucial ce jeu de rôles, c'est qu'il s'opère au sein d'une société désenchantée, où domine un sentiment de perte de confiance des citoyens dans les représentants élus, et particulièrement dans l'exécutif. Le mythe du président démiurge a fait long feu et l'autorité de celui-ci se noie dans un brouillard de refus et de méfiance.

Ses appels à la solidarité et à l'effort se perdent dans les sables de la protestation. L'augmentation spectaculaire des nouveaux médias et leur accélération ajoutent à la confusion : elles brouillent la communication et accentuent le sentiment de coupure avec les élus. Cette horizontalisation des échanges contribue certes à saper la verticalité du pouvoir central, mais parfois au prix de la clarté et de la sincérité du débat comme l'a montré par exemple la tentation complotiste lors de la pandémie de Covid.

En marche forcée

Là encore, la question des retraites fournit un excellent champ d'observation : il s'agit en effet d'une matière engageant l'avenir où toute décision suppose une expertise et une prospective. Les termes du choix doivent être clairement et préalablement établis, et soustraits aux réactions émotives immédiates. La démocratie représentative, parce qu'elle distingue le temps du débat et celui de la décision, offre le cadre adapté à une démarche apaisée.

Le débat actuel ne saurait donc être circonscrit à la seule question des retraites. C'est toute la mécanique subtile des démocraties libérales qui est éprouvée dans cet affrontement menaçant le système représentatif et son corollaire de délégation d'autorité.

Le gouvernement n'a plus le choix : engagé dans les Thermopiles d'un débat sociétal biaisé, il ne peut plus guère qu'avancer. Qu'il parvienne, aux forceps de l'article 47-1, à faire passer sa réforme au Parlement risque de ne lui assurer qu'une victoire à la Pyrrhus. Quelle que soit l'issue, il ne fera pas l'économie d'une profonde réforme d'institutions essouflées et décalées des attentes sociétales. C'est Prosper de Barante qui, dans sa Préface à l'histoire des Ducs de Bourgogne, écrivait en 1826 :

« Nous vivons un temps de doute, les opinions absolues ont été ébranlées ; elles s'agitent encore par souvenir ; mais au fond personne ne les croit plus assez pour leur faire des sacrifices. »

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Par Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne - UBFC.

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 11
à écrit le 12/02/2023 à 9:52
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Bonjours, Dernièrement, l'ons apprends que les 2/3 des francais sont opposé a cette reforme des retraite "injuste et inéquitable ". Mais pour justifiée cette réforme, les medias présente une secrétaire d'un ministre gouvernementale qui veux bien...

à écrit le 11/02/2023 à 10:51
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pas faux l'article ; à l'heure de l'inclusion européenne et au delà de la représentativité démocratique fragile se pose la question de la pertinence de notre organisation politique : parlement à deux chambres , commune , interco, département , régi...

à écrit le 11/02/2023 à 10:50
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Félicitation président incompétent et inconscient de ces gaminerie, a faire le forcing vous éliminé renaissance et LR du pouvoir pour 2027, et de par ce fait vous êtes le premier a cautionner Marine Le Pen ou Melenchon président... Je ne pensez pas q...

à écrit le 11/02/2023 à 10:18
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La réforme des retraites c'est pérenniser le système par répartition. Refuser cette réforme, c'est s'engouffrer dans un système par capitalisation avec tous les risques inhérents à ce système. La répartition à l'inconvenient de faire peser sur les a...

le 11/02/2023 à 14:17
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D'accord avec vous le système par répartition est le moins mauvais des systèmes mais pour le maintenir au regard du rapport actifs / retraités il serait bon de faire preuve d'imagination pour trouver d'autres sources de financements plutôt que de s'e...

à écrit le 11/02/2023 à 9:41
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Un Président légalement élu, mais non légitimement élu ! C'est toute la différence !

le 11/02/2023 à 18:51
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Vous avez raison, un Président légalement élu, c'est la démocratie et nos institutions, le Président est élu au suffrage universel direct.

le 13/02/2023 à 9:08
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Oui vous avez raison, "légitimement", personne ne se serait déplacé dans les manifs ! ;-)

à écrit le 11/02/2023 à 8:47
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C'est vraiment bizarre que les gens voient de la méchanceté dans cette réforme des retraites, parce qu'il n'y a vraiment pas de quoi fouetter un chat. La plupart des français sont des gratte-papiers, ils travaillent au chaud dans un bureau avec un or...

à écrit le 11/02/2023 à 8:44
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Bonjour, Toute cette histoire, fait ressortir les disfonctionnement de notre démocratie... Des présidents réélue sans campagne... Abcence de proportionnelle. Partis politiques non représentative... Syndicat inexistant... Tension économique et soc...

le 11/02/2023 à 10:29
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@Rogger...Il est certain que dans la Russie de Poutine, la Chine de Xi Jin Ping, l'Iran des mollahs, la Corée du Nord des Sung, c'est mieux que chez nous! A trop dénier les institutions, grossir exagérément les imperfections, on passe à côté de l'...

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