Quel standard pour recharger les batteries de véhicule électrique  ?

OPINION. Le développement des véhicules électriques reste freiné par les batteries qui se déchargent trop vite et se chargent trop lentement. Chaque constructeur automobile a un intérêt privé à augmenter la durée de décharge de ses batteries. Mais quand il s'agit de définir les caractéristiques techniques des bornes de recharge, il y a conflit entre intérêts privés et collectifs. Par Claude Crampes et Yassine Lefouili, Toulouse School of Economics (TSE).
Claude Crampes et Yassine Lefouili.
Claude Crampes et Yassine Lefouili. (Crédits : DR)

Nous pouvons brancher n'importe quel appareil électroménager sur le réseau électrique sans nous demander si le voltage de l'un correspond bien à celui de l'autre. Cette universalité est le résultat de l'empilement au fil du temps de décisions stratégiques individuelles des producteurs, d'ententes découlant de concertations techniques au niveau de la branche, et d'obligations imposées par les pouvoirs publics, parfois à l'échelle d'un continent.

Il n'en va pas tout à fait de même lors du remplissage du réservoir de carburant d'une automobile. Il ne faut pas se tromper de tuyau sous peine d'endommager le moteur. Mais il reste vrai que toutes les marques de voitures utilisent les mêmes types de carburants et on peut tous les trouver dans la plupart des stations-service.

Le problème de la compatibilité des outils de "remplissage" resurgit avec l'augmentation du nombre de véhicules électriques (VE) en circulation. Les fabricants de VE ont des moteurs aux excellentes performances et réalisent des progrès constants pour ce qui est de la décharge des batteries embarquées. Mais ces progrès ne permettent pas encore d'envisager de façon sereine de longs déplacements, car, pour "faire le plein d'électricité", il faut trouver des bornes de recharge, qu'elles soient compatibles avec le véhicule et que le temps d'attente ne soit pas trop long. Autant de conditions qui sont encore loin d'être remplies.

Complémentarité entre VE et réseau de chargeurs

Le propriétaire d'un VE qui n'est pas pressé peut toujours brancher sa batterie sur le "goutte-à-goutte" du réseau de distribution électrique de son habitation. Même chose sur le lieu de travail, entre son arrivée le matin et son départ en fin de journée. Mais si la voiture brûlant du carburant a eu le succès que l'on sait, c'est parce qu'elle a permis de réduire les temps de voyage entre villes. C'est donc aussi extra-muros, sur moyenne et longue distance, que va se jouer le succès de son successeur électrique. Pour offrir le même service, il faut que les VE puissent être rechargés dans des délais comparables à ceux du remplissage d'un réservoir d'essence, au maximum une dizaine de minutes, ce qui nécessite des stations de recharge rapide. Les initiateurs de ces installations sont les distributeurs d'électricité, les collectivités territoriales, les concessionnaires d'autoroutes, mais aussi et surtout les constructeurs de VE. En effet, la plupart de ces derniers considèrent à juste raison que le véhicule et les stations de recharge sont les deux pièces indissociables du produit commercialisé. Tesla en est l'exemple emblématique.

La guerre des standards

Les constructeurs ont un intérêt commun à ce qu'il y ait un grand nombre de stations de recharge rapide bien réparties le long des routes et autoroutes et utilisables par tous les types de véhicules électriques. Il suffit donc qu'ils s'assoient autour d'une table pour définir les caractéristiques techniques et les protocoles de communication applicables à toutes les bornes de recharge. Ce serait simple en effet si les constructeurs n'avaient déjà défini plusieurs normes, individuellement ou par petits groupes.[1] Et comme chacune de ces normes est protégée par un ensemble de brevets et de protocoles propriétaires, derrière les gains collectifs que pourrait procurer l'adoption de spécifications uniques se cachent des royalties qui profiteront à l'entreprise ou groupe d'entreprises dont la norme aura été adoptée.

Entre SAE Combo Charging System (BMW, GM, VW), CHAdeMO (Nissan, Mitsubishi, Kia), GB/T (constructeurs chinois) et le Supercharger (Tesla) la guerre des standards est déclarée.[2] Cette configuration dans laquelle les intérêts individuels et l'intérêt collectif sont partiellement divergents est connue dans la théorie des jeux non coopératifs sous le nom de Bataille des Sexes.[3] D'un côté, avec un standard unique les candidats à l'achat d'un VE sauteraient plus facilement le pas puisqu'ils craindraient moins de ne pas trouver la borne qu'il leur faut quand ils doivent recharger. Les constructeurs seraient donc collectivement gagnants. D'un autre côté, le constructeur dont le standard s'impose gagne sur deux tableaux: non seulement il peut espérer vendre plus de véhicules, ce qui est vrai de tous les constructeurs, mais il peut aussi faire payer aux autres des royalties pour les licences d'utilisation de ses brevets. La guerre des standards, comme la Bataille des Sexes, a donc plusieurs équilibres possibles, c'est-à-dire plusieurs combinaisons de stratégies telles que chaque joueur est satisfait de sa décision étant donné les décisions des autres joueurs. Et chacun des joueurs souhaite voir promu "son" équilibre, c'est-à-dire celui dans lequel c'est son standard qui est adopté.

Norme de jure et norme de facto

Pour sortir de cette impasse, il y a essentiellement deux solutions. La première consiste en ce qu'une autorité, politique ou professionnelle, un organisme de normalisation tel que le Cenelec, obtienne des joueurs une solution de jure avec partage des gains pour compenser ceux dont l'option technique n'a pas été retenue et doivent donc adapter leur technologie. En quelque sorte, on rend coopératif le jeu initial en ajoutant à l'étape des gains une étape de partage du butin.

Dans l'autre solution, la guerre actuelle se transforme en guerre d'usure débouchant sur une norme de facto, celle du vainqueur. En effet, si l'un des concurrents arrive à convaincre un nombre suffisant d'acheteurs de la supériorité de sa technologie, le réseau de ses chargeurs croît plus rapidement que celui des autres constructeurs et il se déclenche un phénomène d'auto-renforcement de l'attractivité par lequel tout nouveau candidat à l'achat d'un VE préfèrera se tourner vers ce réseau. C'est d'ailleurs par un mécanisme de ce type que le moteur à explosion s'est imposé face au moteur électrique il y plus d'un siècle.

Il reste aussi la possibilité que subsistent plusieurs standards comme pour les ordinateurs personnels où Apple a su résister face à la montée en puissance de Windows.

Aujourd'hui, l'avenir du véhicule électrique se joue probablement plus dans le réseau de recharge rapide que dans les ateliers de construction. En termes d'intérêt collectif, l'identité du vainqueur importe peu, sauf si le standard adopté est technologiquement le moins performant. La France s'est fixé comme objectif l'installation, d'ici à 2030, d'au moins sept millions de points de charge (art. 41 de la LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte). Pour ce qui de son intérêt privé, en investissant massivement dans l'infrastructure de chargeurs chaque constructeur peut espérer prendre la tête de la course plus sûrement qu'en investissant dans des améliorations marginales de ses véhicules.[4]

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[1] Pour les details techniques, voir https://greentransportation.info/ev-charging/range-confidence/chap8-tech/ev-dc-fast-charging-standards-chademo-ccs-sae-combo-tesla-supercharger-etc.html

[2] Pour les différents types de prise voir https://www.les-voitures-electriques.com/guide/differents-types-de-prise/.

[3] Voir https://renaud.bourles.perso.centrale-marseille.fr/Cours/Theorie_des_jeux.pdf page 35.

[4] Sur un sujet proche, on peut lire l'article de G. Pavan qui montre que le développement des carburants alternatifs (GPL, GPV) est mieux assuré par une subvention aux stations-service pour qu'elles s'équipent de pompes que par une subvention aux acheteurs de véhicules utilisant ces carburants; https://www.tse-fr.eu/sites/default/files/TSE/documents/doc/wp/2017/wp_tse_875.pdf

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Commentaires 17
à écrit le 06/02/2019 à 7:41
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avant d'evoquer le standard pour les vehicules électriques il faut déjà pense a standardiser les prises de courant en europe habitation et entreprise et ne pas avoir des prise pour chaque pays mais cela depasse nos cher technocrate de bruxelle...

à écrit le 05/02/2019 à 20:29
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le problème se pose de l'homogéïnisation des tensions de batteries, 80; 100, 180 ou 300 car plus la charge sera proche du secteur et plus ça chargera vite avec une perte mineure dans le chargeur. (300 correspond au triphasé) Comme apple Tesla sera t...

le 06/02/2019 à 17:56
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Bah non, c'est pas vrai... À leurs débuts, il n'y avait pas vraiment de standard pour la charge rapide... Du coup ils ont d'abord utilisé le Type 2, européen, dans lequel ils envoyaient du DC, donc dans un mode pas prévu par les autres constructeurs...

à écrit le 05/02/2019 à 16:28
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C'est bien le seul.problème des VE Serge Rochain

à écrit le 05/02/2019 à 15:25
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Pourquoi La Tribune n'autorise pas de publier des commentaires sous l'article intitulé Macro. préfère accorder la nationalité que le droit de vote aux étrangers ? Qui cela dérange ? Et pour quelles raisons ?

le 06/02/2019 à 7:43
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tu veux voter en France allors c'est simple soit francais

à écrit le 05/02/2019 à 13:52
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C'est à l'Europe de régler ces anomalies, au lieu de s'occuper de réflexion sur le sexe des anges !

à écrit le 05/02/2019 à 13:02
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Il existerait une troisième solution. La création d'une instance indépendante qui mette au point une norme nouvelle, avec le recul de la dernière décennie d'utilisation et les avancées déjà effectuées. Norme que les constructeurs seraient obligés de ...

à écrit le 05/02/2019 à 11:53
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N 'est ce pas le rôle des politique que d'imposer une norme? Si l'ensemble des pays européens impose un système celui-ci s'imposera. La force de l'Europe est un atout. Il faut faire vite avant que les USA ou la chine le fasse. Il faut être le prem...

à écrit le 05/02/2019 à 10:23
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Ça va refaire comme le combat VHS, Bétamax et autre sur les cassettes vidéo (je fais dinausore avec mes K7) ? Chaque prise installée rapporte, le chargeur spécifique aussi, c'est magique. Et on voudrait que ça se développe. En Norvège où 1/3 des véhi...

le 05/02/2019 à 12:12
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C'était en 2012 et la société s'appelait better place. Un robot remplaçait, en quelques minutes, des batteries de 200 kg vides par des pleines. Les essais ont été concluants sur le plan technique Les véhicules porteurs étaient des Renault Fluence s...

à écrit le 05/02/2019 à 9:58
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Non il n'y a pas de problèmes pour les constructeurs de voitures electriques Prenez tesla elles chargent aussi bien en type 2, supercharger, chademo et maintenant en ccs. Certes il faut placer un adaptateur pour le chademo ou ccs, et leurs superch...

à écrit le 05/02/2019 à 9:05
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" Le développement des véhicules électriques reste freiné par les batteries qui se déchargent trop vite et se chargent trop lentement." Oui ! Je me souviens d'une annonce médiatique il y a plusieurs années de cela, d'une jeune chinoise de 15 o...

le 05/02/2019 à 10:30
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Ça n'a peut-être pas tenu 5 minutes son 'truc' ? Vous vous souvenez sur quelle chaine voir si on trouve ça en "replay" ? Batterie spéciale de son invention ou charge rapide de l'originale ? Une batterie malmenée peut finir par exploser à la charge ...

le 05/02/2019 à 17:15
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"Une entreprise chinoise dévoile une batterie rechargeable en 15 minutes" https://www.numerama.com/tech/181652-entreprise-chinoise-devoile-batterie-rechargeable-15-minutes.html Peut-être vers là...

à écrit le 05/02/2019 à 8:55
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Fort vrai ! Je propose quelque-chose de très simple: Puisque c'est Tesla qui a eu le courage de se lancer massivement alors à lui de récolter le fruit du risque qu'il a pris. En plus, il a eu l'élégance de mettre sur la table tous les brevets atta...

le 05/02/2019 à 10:29
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Tesla avec des voitures de bêta-testeurs, trop chères et peu olé olé? La marque est jeune et le pdg fait plus de com que de boulot sérieux tout en ne faisant pas consensus quand l' Alliance Renault Nissan Mitsu déjà solidement implantée es...

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